Citations sur Carnets, tome 4 - 1978-1979 : Le Spectateur immobile (4)
A la fin, l'amour que nous portent ceux qui prétendent nous aimer ressemble à s'y méprendre à une douce indifférence.
Cet amour dont depuis longtemps ils sont assurés leur épargne à notre endroit toute curiosité, toute attention un peu pénétrante. Qu'aiment-ils, sinon la représentation plus ou moins exacte qu'ils se sont un jour faite de notre personne et qui, à leur sens, n'appelle point révision?
Nous avons pu changer, c'est l'étranger de jadis qu'ils aiment, ou se souviennent avoir aimé. L'accoutumance les convie au confort moral d'ignorer nos diversités.
Il y eut dans ma vie des instants où je fus "au plus près de Dieu". J'en conserve le souvenir d'un indicible bonheur.
Nous portons et soutenons nos enfants tout au long de notre vie, comme si nous devions rendre compte d'eux en tant que partie de nous-mêmes - et peut-être en est-il ainsi, nous présentant sur l'autre rive chargés de tout ce que nous avons aimé, de tout ce qui a été un jour remis à notre garde. De cela sera constitué notre véritable poids devant l'éternité, et il est à souhaiter que nous ne soyons pas jugés trop légers.
Dans cette civilisation de masse, quoi de plus logique que le progressif affaiblissement du christianisme qui, en essence, est distinction de l’individu, appel réitéré à sa dignité, son effort, sa valeur, sa discipline morale, sa maîtrise, sa grandeur ? En quoi cela concernerait-il cette fourmilière promise non pas à quelque sublimation future, comme certains imposteurs politiques y ont intérêt, ou certains optimistes irréfléchis le prétendent, mais à l’épreuve d’une terrible barbarie ; car la seule et dramatique question qui vaut aujourd’hui d’être posée est celle-ci : quand et de quelle façon se produira la réduction du nombre ?
Le spectateur immobile (Carnets IV, 1978-79), Louis Calaferte, éd. L'arpenteur (Gallimard), 1990, p. 147