Septentrion est un livre dur , car il est difficile d'avaler la franchise douloureuse de l'auteur ( semblable à celle de Bukowski ) . Plein d'humour aussi , mais surtout aux dépens des femmes et s'en est parfois dérangeant , au point qu'on le pense misogyne .... il l'est quelque peu , mais on le lui pardonnera sachant que la première femme qu'il connut ( sa mère ) le câlinait à coups de ceinturon . Il est dur aussi envers les moutons , ceux qui rampent , sont dociles , c'est là que s'exprime le mieux sa révolte .
Le style d'écriture , j'allais dire la technique , mais non , les mots sortent sans retenue , sans calculs , comme l'eau d'une bouche d'égout , est une grosse claque , un choc , une lave incandescente de mots , de qualificatifs qui vont parfois presque jusqu'au délire .
Lecteurs friands de beaux sentiments , de douces mièvreries , ce livre n'est pas pour vous , pas plus que " la mécanique des femmes " qui m'a paru moins abouti , moins circonstancié . Mais cette lecture est une expérience à connaître , même si au final elle peut vous décevoir ..... il est bon parfois d'être réveillé , même brutalement ... on s'en remet .
La sexualité a une grande place dans ce livre , mais que les petits cochons qui sommeillent , ne s'excitent pas inutilement , ce n'est pas pornographique .
Bukowski se mettait à nu dans " Journal d'un vieux dégueulasse " , et Calaferte fait de même , ne cache rien , ne se vante ni ne se complaît , il se " confesse " mais sans être enfant de coeur . Lui donnerez vous l'absolution ?
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Je l'avoue humblement, j'ai sauté des pages dans cet ouvrage. Il paraît qu'on a le droit. Mais dans la première partie seulement, "Genesis".
"Au commencement était le sexe". C'est vrai. La vie est une maladie sexuellement transmissible. Et c'est par là que tout commence. Seulement voilà, quand au quart du chapitre on y est encore, au tiers, à la moitié, quand aux trois quart on y est toujours, ça fatigue son homme. On n'est pas des bêtes. Encore que chez la plupart des animaux, c'est une fois l'an.
Je ne suis pas spécialement coincé sur le sujet, mais la performance, ça use. Ça tue l'amour. Et ceux qui en parlent le plus ne sont pas les ténors de l'opéra céleste. D'autant que côté sentiment avec Louis Calaferte c'est plutôt chiche. Autre ombre au tableau, ces dames ne sont pas spécialement portées au pinacle dans le verbiage charnel de l'auteur. Alors trêve de flatterie, j'ai beaucoup regretté qu'un style et une verve pareils restent coincés pendant pas moins de 215 pages entre muqueuses et replis de la peau.
Car côté écriture, c'est assez fabuleux. C'est cru certes, on se dit tout. Les choses comme elles sont dans la vraie vie physiologique. Il est intarissable sur le sujet le monsieur. J'allais dire le mâle. Une logorrhée prodigieuse dans un style à l'italienne qui omet le pronom personnel et nous entraîne en cascade dans la grande descente aux enfers de la prouesse érotique. C'est stupéfiant. Même en ayant sauté des pages, j'en ressort épuisé lorsque je parviens à la deuxième partie.
La deuxième partie, c'est "Omphalos". le nombril du Monde. J'ai exploité le dictionnaire en ligne, c'est comme ça que je l'ai compris. A ce stade, on s'enfonce dans le domaine de la frustration. L'écrivain bloqué devant sa page blanche. Il se sait pourtant le centre du monde comme nous en sommes tous convaincus nous aussi. Mais personne d'autre que soi ne le sait. Il galère. Jusqu'à quitter son boulot, convaincu que l'écriture va le sauver de la triste banalité de la vie, des gestes quotidiens, d'un salaire de misère à faire le larbin, d'un contremaître irascible. Il galère jusqu'à n'avoir plus ni gîte ni couvert. Jusqu'au jour où il frappe à la porte de cette bonne famille, un copain charitable, sa femme et leur gamine qui vivent dans leur modeste confort et lui offrent l'hospitalité d'une vie étriquée, faite d'habitudes, de discours indigents. Ils sont gentils, mais voilà, est-ce bien cela une vie réussie. Travailler, manger, dormir. Se parler si peu. La satisfaction d'une aisance dérisoire.
Où est la justification de la vie dans tout ça ? Qu'est devenu l'amour, à la fois origine et finalité de tout ? Celui qui fait croire que la vie sera belle, toute la vie. Ce fol espoir qui pousse les gens à se perpétuer pour finalement sombrer dans une vie pauvre en voluptés, autres que celles du manger, dormir. On ne parle déjà plus de s'aimer. Découragé, dépité, lui végète devant sa page blanche. Ils sont gentils et généreux ses amis, mais tellement rabougris dans leur quotidien navrant que le grand écrivain qu'il s'était promis de devenir n'y trouve aucune inspiration. La page reste blanche. Jusqu'au jour où…, troisième partie, "Gamma", tout simplement.
En quelques pages seulement, le déclic, l'explosion. Mais oui, c'est ça, la frustration sera le sujet. Et sur ce terrain-là, il en a à dire. Il a de l'expérience. La vie ce n'est que ça. Une grande frustration, un malentendu, une escroquerie. Le barrage se rompt et engloutit la vallée au fond de laquelle vivotent tous ces minables, ces gogos. C'est la déferlante. Une violente diatribe contre la petitesse d'une vie pour la vie seulement. Un cycle inexorable contre lequel il fulmine. Éternel retour à la case départ. Cycle stérile en Bonheur, avec un grand B. Tout ça pour ça. L'absurde de la condition humaine. D'autres s'y sont collés, des lettrés, des philosophes, en termes forcément plus policés, encore que, car avec Louis Calaferte ça donne un bouquin bravant la morale, bavant sur la morale, au point d'être interdit pendant vingt ans. Un bouquin dans lequel il vide son sac. Il nous dit dans cette troisième partie comment il en est arrivé là, à cette conclusion. Tant d'espoirs déçus. Le dépérissement de l'esprit qui dissout la motivation. Le dépérissement du corps qui dissout le plaisir de la coupable entreprise d'engendrer. Place au suivant. La boucle est bouclée et tout recommence dans l'inconscience des géniteurs qui perpétuent la vie. "Au commencement est le sexe." Et puis voilà. Et après ? Eternel renouveau, la grande frustration se nourrit d'elle-même.
C'est cru, très cru, pour dire la déconvenue et finalement la colère. Où est la raison de tout ça ? C'est philosophique à sa manière, au final, quand on a franchi l'étape des ébats sans fin. Quatre étoiles quand même pour ce style décapant, dérangeant. L'objectif est atteint, ça interpelle, ça déboussole. On en perd le septentrion.
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« Au commencement était le Sexe. Sauveur. Chargé d'immoralité. Il y a la Bête. Héroïque. Puissante. Et au-delà de la Bête il n'y a rien. Rien sinon Dieu lui-même. Magnifique et pesant. Avec son œil de glace. Rond. Statique. Démesurément profond. Fixe jusqu'à l'hypnose. Tragique regard d'oiseau. Allumé et cruel. Impénétrable de détachement. Rivé sur l'infini d'où tout arrive ».
Je pénètre malgré moi une œuvre incomparable de la littérature française longtemps mise de côté par puritanisme - cause pornographie- comme Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire. Ce livre est une explosion des sens où le sexe voltige avec douceur avec les émotions de l’auteur et de son héros. Ce corps à corps sensuel des mots s’enivre de la puissance littéraire de Louis Calaferte perdu dans les humeurs de cet écrivain virtuel aux prises avec ses fantasmes, ses peurs, ses doutes, ses folies, sa débauche, sa phobie du travail...Lire ce livre c’est comme manger un pigment fort des îles. La sève puissante coule dans vos veines pour vous brûler les entrailles avec malice et diablerie, ce roman autobiographique s'enflamme de ces impudeurs, cette vision des femmes respirent celle d'un homme amoureux de la gente féminine surtout de leur chair, de leur plaisir, de leur désir, de cette envie de concupiscence ....l'acte d'amour ...le plaisir de la chair défendue ....
Mais la folie rencontre la peur d'écrire, cette paralysie de ne pas pouvoir réussir, ce complexe des autres avec cette force d'attendre le bon moment d'écrire, de réaliser ce livre parfait, être dans la bonté des Dieux semant la grâce des mots et de l'inspiration. Nous voyageons dans l'univers d'un pique assiette allant ci et là d'ami de maitresse devenant gigolo aussi ...Cette première partie est un tel délice, une mélopée de mots, de petits noms donné à la maitresse de notre héros gigolo c’est un régal acide, sarcastique, machiste, vulgaire, ordurier ....
C’est un roman indispensable à littérature française, Louis Calaferte vit pour l'écriture, il est submergé par cette force incontrôlable littéraire, il vit que pour cette passion dévorante, il s'enrage avec violence et passion dans cette folie où sa vie n'est que support pour cette dévotion de devenir écrivain...
Pour finir je citerai Philippe Sollers :
« Ne pas avoir lu ou ne pas lire sur-le-champ Septentrion est foncièrement immoral »
Alors aller lire Septentrion ....
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N’OUBLIEZ PAS DE LIRE
Dès que j’avais un livre, mon premier soin était de m’enfermer avec dans ma chambre d’hôtel comme pour une séance d’initiation, et je ne décrochais pas avant d’en avoir terminé, qu’il eût deux cents ou mille pages. Lire les paroles qu’un homme, dont on ne connaît généralement ni le visage ni la vie, a écrites tout spécialement à votre intention sans oser espérer que vous les liriez un jour, vous qui êtes si loin, si loin sur d’autres continents, d’une autre langue. Peut-être habite-t-il une grande maison de campagne au bord du Tibre ou un quarante-septième étage dans New York illuminé, peut-être est-il en train de pêcher l’écrevisse, de piler la glace pour le whisky de cinq heures, de caresser sa femme sur le divan, de jouer avec ses enfants ou de se réveiller d’une sieste en songeant à tout ce qu’il voulait mettre de vérité dans ses livres, sincèrement persuadé de n’avoir pas réussi bien que tout y soit quand même, presque malgré lui. Il a écrit pour vous. Pour vous tous. Parce qu’il est venu au monde avec ce besoin de vider son sac qui le reprend périodiquement. Parce qu’il a vécu ce que nous vivons tous, qu’il a fait dans ses langes et bu au sein, il y a de cela trente ou cinquante ans, a épousé et trompé sa femme, a eu son compte d’emmerdements, a peiné et rigolé de bons coups dans sa vie, parce qu’il a eu faim de corps jeunes et de plats savoureux, et aussi de Dieu de temps à autre et qu’il n’a pas su concilier le tout de manière à être en règle avec lui-même. Il s’est mis à sa machine à écrire le jour où il était malheureux comme les pierres à cause d’un incident ridicule ou d’une vraie tragédie qu’il ne révèlera jamais sous son aspect authentique parce que cela lui est impossible. Mais il ne tient qu’à vous de reconstituer le drame à la lumière de votre propre expérience et tant pis si vous vous trompez du tout au tout sur cet homme qui n’est peut-être qu’un joyeux luron mythomane ou un saligaud de la pire espèce toujours prêt à baiser en douce la femme de son voisin. Qu’il ait pu écrire les deux cents pages que vous avez sous les yeux doit vous suffire. Qu’il soit l’auteur d’une seule petite phrase du genre : «A quoi vous tracasser pour si peu, allez donc faire un somme en attendant», le désigne déjà à nous comme un miracle vivant. Même si vous deviez oublier cette phrase aussitôt lue et n’y repenser que le jour où tout va de travers, à commencer par le réchaud à gaz ou la matrice de votre femme. Et si par hasard vous avez la prétention de devenir écrivain à votre tour, ce que je ne vous souhaite pas, lisez attentivement et sans relâche. Le Littré, les articles de dernière heure, les insertions nécrologiques, le bulletin des menstrues de Queen Lisbeth, lisez, lisez, lisez tout ce qui passe à votre portée. A moins que, comme ce fut souvent mon cas, vous n’ayez même pas de quoi vous achetez le journal du matin. Alors descendez dans le métro, asseyez-vous au chaud sur un banc poisseux --- et lisez ! Lisez les avis, les affiches, lisez les pancartes émaillées ou les papiers froissés dans la corbeille, lisez par-dessus l’épaule du voisin, mais lisez !...
Choisissant régulièrement le moment où je mâchais à belles dents une grosse bouchée de pollen parfumé pour téléphoner au secrétariat de l'usine afin de m'excuser de mon absence motivée par un inexplicable malaise qui m'avait pris dans la nuit sans que rien l'eût laissé prévoir la veille au soir. De peu de gravité, je pense. L'affaire de vingt-quatre ou quarante-huit heures au pire. Transmettez à la Direction générale, oui, mademoiselle, textuellement, j'y tiens beaucoup. Ajoutez à l'intention personnelle de M. Igoliogobulus, notre Directeur-gérant, que, cette année, le pollen courant est de toute première qualité. Celui des boutons-d'or en particulier. Je dis bien : boutons-d'or – petites fleurs innocentes qui ornent symboliquement la braguette tant soit peu voyante de notre frère David, lequel est justement en train de se vautrer dans l'herbe à mes côtés, me faisant signe de vous présenter ses compliments d'usage. Trop occupé à mastiquer un bouquet de xylothropes lunaires pour prendre lui-même l'appareil, mais se sent tout disposé à vous attendre ce soir à la sortie de votre travail, disons six heures et demi. Paierait les frais de la soirée et se ferait un devoir de vous raccompagner en taxi sans vous peloter plus qu'il n'est concevable. Quant à moi, mademoiselle, je me ses déjà en voie d'amélioration. Serai sûrement sur pied dès ce soir à la nuit tombante. Disponible. Peux vous consacrer une nuit entière avec coups à répétitions, si vous voyez où je veux en venir. Vous ferai profiter d'une expérience patiemment acquise. La vie est splendide prise dans un certain sens. Et je ne vous cacherai pas plus longtemps que votre cul que je vois chaque matin par la baie vitrée du standard téléphonique à l'entrée de l'usine est pour moi un objet de curiosité insatiable qui me traverse l'esprit plusieurs fois par jour sans que j'y mette pourtant de complaisance spéciale, au contraire, n'ayant jamais encore eu l'occasion d'apercevoir votre physique, la Direction prévoyante se doutant du danger que représenteraient pour d'humbles ouvriers de ma sorte une dizaine de paires d'yeux et de nichons bandés, sans parler de l'épaisseur, de la forme ou de l'expression des lèvres. En vertu de quoi elle vous a installées, vous et les autres, le dos tourné à l'entrée, commettant tout de même une grave erreur, car, à mon sens, rien n'est moins anonyme qu'un cul de femme quand on a le temps de se familiariser avec, ce qui est le cas pour le vôtre depuis bientôt six mois que je le retrouve à sa place matin, midi et soir si l'on compte pour rien les heures que j'ai passées à l'imaginer dans mes mains se promenant en cadence de droite à gauche sur le bout de mon gland, partie terminale du pénis, comme il est dit en anatomie. Un aveu entraînant l'autre, laissez-moi vous dire un mot de cette érection matinale imprévue qui se manifeste en ce moment même dan la cabine du téléphone public d'où j'appelle, rien qu'en vous évoquant, assise sur votre tabouret métallique, telle que je vous ai toujours vue, les fesses saillantes dans le tissu plaqué de la robe à fleurs qui se creuse légèrement en suivant la fente que je me plais à imaginer longue, charnue, étroite, un peu grasse et garnie de poils courts jusqu'au bourrelet de l'ouverture que je me propose d'écarter un jour ou l'autre avec toute la science requise. Dans l'attente, soyez assurée que cette image de vous restera vivace en ma mémoire et que je m'efforcerai par quelques lignes d'en communiquer à mes semblables le contenu émotif, car, si vous ne le saviez pas encore, je suis au bord de l'accouchement d'un monstre à visages multiples dont l'un d'eux aura très exactement la forme de ces fesses admirables, évasées sous les hanches, devenues avec le temps dans le fouillis des souvenirs comme la synthèse permanente de toutes les croupes féminines qui m'ont accroché l'œil au passage. Écrivain, voilà mon ambition. C'est l'origine du malaise qui me retiendra aujourd'hui, une fois de plus, loin de mes activités habituelles. Ayant rêvé livres, je ne me sens plus le cœur à gambader dans la cage d'un air guilleret avec les autres. Ce matin, alors que j'étirais le bras pour bloquer cette saloperie de réveil, il m'est brusquement venu à l'idée que je pourrais dormir deux heures de plus sans que ma vie en soit brisée, que je pourrais boire mon café au lit, choisir un bon livre, le déguster mot à mot et même prendre quelques notes dans l'éventualité où je serai tenté de commencer prochainement à écrire. Menus travaux que je remets toujours par manque de temps. Les idées perdues sont pourtant difficilement rattrapables. Passons encore pour les idées, à peu de chose près toujours les mêmes, mais les sensations ! Les sensations, hein ! Quoi de plus volatil ? Fumée et moins que fumée. Du vent, comme disait l'Ecclésiaste qui s'y connaissait. Il me faudrait à chaque instant un crayon et un papier, où que je sois, au graissage de motrices, dans le monte-charge, au sous-sol ou dans le poste de vérification. Ai-je une seule chance de convaincre quelqu'un de chez vous de cette évidence pourtant absolue ? Non, bien sûr. Donc, par déduction, il est non moins évident que je dois m'octroyer ça et là, de mon propre chef, des journées de détente si je veux qu'un jour la peinture soit brossée de ce capharnaüm étourdissant que vous broie la cervelle en même temps que les oreilles. Le bruit, les machines et les odeurs n'étant qu'un amalgame de sensations momentanées, ainsi d'ailleurs que la rangée impressionnante des fesses du standard qui, abstraction faite de sensations, redeviendraient ce qu'elles sont – un banal incident de l'anthropogénie. Thème qui mériterait que nous l'approfondissions ensemble, vous et moi, un de ces soirs. Je suis un esprit tellement curieux ! Je n'ai du reste plus une seconde à perdre. Saluez de ma part mes camarades de l'atelier Nord. Tous mes vœux les accompagnent. L'huile lubrifiante est dans la remise à gauche au fond du couloir. La trousse à outils accrochée par sa gaine extensible au huitième clou en partant du haut. Et naturellement, hier au soir, j'ai pendu ma dépouille de trépassé dans mon vestiaire, mais proprement, sur le cintre numéroté que la Direction nous alloue afin que nous en fassions le meilleur usage. Je n'ai gardé sur moi que mes organes reproducteurs. Je ne pense pas que l'on puisse y voir un trait de mauvais esprit de ma part. Auquel cas, vous me préviendriez des dispositions à prendre. Merci de votre sollicitude. Et allez vous faire foutre jusqu'à la moelle, vous, votre usine, vos disciplines consenties, votre pointage, votre chaîne roulante, vos équipes de relève, vos boulons crantés, votre tableau d'absence, vos records de production et vos salaires garantis. Je vous donne même, par anticipation, ma médaille de travailleur si toutefois vous trouvez encore preneur.
Dans le noir, un corps en remplace un autre. je fais l'amour à mes propres désirs. Je fais l'amour à l'homme que je suis dans ma solitude et qui n'a que les mots pour s'exprimer. Quelle est la voix qui me demande d'un ton suppliant si je vous aime ? La vieille litanie qui recommence. Avez-vous donc tellement besoin de cette imposture les unes des autres ? Oui, Nora mon doux cœur, je vous aime. Au change. Au pair. Pour mille. Dix mille. Pour vingt. Pour cent. Une fortune. Un pactole. Ou moins que ça. Une note d’hôtel en retard. Des cigarettes. Un lit. Un toit. Deux jours tranquilles et pouvoir penser à ce que je vais mettre dans cette saloperie de bouquin qui me chatouille l'âme. Arrondissez la somme et mon cœur se dilatera d'amour.
Dès que j’avais un livre, mon premier soin était de m’enfermer avec dans ma chambre d’hôtel comme pour une séance d’initiation, et je ne décrochais pas avant d’en avoir terminé, qu’il eût deux cents ou mille pages. Lire les paroles qu’un homme, dont on ne connaît généralement ni le visage ni la vie, a écrites tout spécialement à votre intention sans espérer que vous les liriez un jour, vous qui êtes si loin, si loin sur d’autres continents, d’une autre langue. Peut-être habite-t-il actuellement dans une grande maison de campagne au bord du Tibre ou un quarante-septième étage dans New York illuminé, peut-être est-il en train de pêcher l’écrevisse, de piler la glace pour le whisky de cinq heures, de caresser sa femme sur le divan, de jouer avec ses enfants ou de se réveiller d’une sieste en songeant à tout ce qu’il voulait mettre de vérité dans ses livres, sincèrement persuadé de n’avoir pas réussi bien que tout y soit quand même, presque malgré lui. Il a écrit pour vous. Pour vous tous. Parce qu’il est venu au monde avec ce besoin de vider son sac qui le reprend périodiquement. Parce qu’il a vécu ce que nous vivons tous, qu’il a fait dans ses langes et bu au sein, il y a de cela trente ou cinquante ans, a épousé et trompé sa femme, a eu son compte d’emmerdements, a peiné et rigolé de bons coups dans sa vie, parce qu’il a eu faim de corps jeunes et de plats savoureux, et aussi de Dieu de temps à autre et qu’il n’a pas su concilier le tout de manière à être en règle avec lui-même. Il s’est mis à sa machine à écrire le jour où il était malheureux comme les pierres à cause d’un incident ridicule ou d’une vraie tragédie qu’il ne révélera jamais sous son aspect authentique parce que cela lui est impossible. Mais il ne tient qu’à vous de reconstituer le drame à la lumière de votre propre expérience et tant pis si vous vous trompez du tout au tout sur cet homme qui n’est peut-être en fin de compte qu’un joyeux luron mythomane ou un saligaud de la pire espèce toujours prêt à baiser en douce la femme de son voisin. Qu’il ait pu écrire les deux cents pages que vous avez sous les yeux doit vous suffire. Qu’il soit l’auteur d’une seule petite phrase du genre : « À quoi bon vous tracasser pour si peu, allez donc faire un somme en attendant », le désigne déjà à nous comme un miracle vivant. Même si vous deviez oublier cette phrase aussitôt lue et n’y repenser que le jour où tout va de travers, à commencer par le réchaud à gaz ou la matrice de votre femme. Et si par hasard vous avez la prétention de devenir écrivain à votre tour, ce que je ne vous souhaite pas, lisez attentivement et sans relâche. Le Littré, les articles de dernière heure, les insertions nécrologiques, le bulletin des menstrues de Queen Lisbeth, lisez, lisez tout ce qui passe à votre portée. À moins que, comme ce fut souvent mon cas, vous n’ayez même pas de quoi vous acheter le journal du matin. Alors descendez dans le métro, asseyez-vous au chaud sur le banc poisseux – et lisez ! Lisez les avis, les affiches, lisez les pancartes émaillées ou les papiers froissés dans la corbeille, lisez par-dessus l’épaule du voisin, mais lisez !
"Ce matin, alors que j'étirais le bras pour bloquer cette saloperie de réveil, il m'est brusquement venu l'idée que je pourrais dormir deux heures de plus sans que ma vie en soit brisée, que je pourrais boire mon café au lit, choisir un bon livre, le déguster mot à mot et même prendre quelques notes dans l'éventualité où je serais tenté de commencer prochainement à écrire."
Virginie Despentes accompagnée par le groupe Zëro : Éric Aldea (guitare), Ivan Chiossone (claviers), Frank Laurino (batterie)
Son : Wilo
Depuis Baise-moi en 1994, Virginie Despentes s'est imposée comme une écrivaine majeure avec notamment Les Jolies Choses (prix Flore 1998), Teen Spirit, Apocalypse bébé (prix Renaudot 2010) ou encore son essai King Kong Théorie. C'est qu'il y a chez elle une énergie d'écriture salutaire et sans concession, mais aussi une intelligence rare. L'acuité de son regard sur le monde contemporain (tantôt hilarant, tantôt glaçant de vérité), on la retrouve dans la « série » Vernon Subutex, fresque incroyable en trois tomes. Personne n'échappe à Virginie Despentes et, en même temps, elle sait très bien qu'il est jouissif de canarder à tous crins. Elle s'efforce donc de prendre à bras-le-corps, et d'aimer aussi, cette galerie de personnages ultramodernes qu'elle met en scène.
Ce soir elle vient accompagnée du groupe de rock Zëro pour payer une dette littéraire : celle qu'elle doit au mythique Requiem des innocents de Louis Calaferte.
À lire – Virginie Despentes, Vernon Subutex 3, Grasset, 2020.
À écouter – Zëro, « Requiem des Innocents » (avec Virginie Despentes), 2LP Ici d'Ailleurs, 2020.
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