Citations sur Le chevalier inexistant (67)
Ah ! si je pouvais conter à ma guise ! Pour cela, il faudrait que cette page blanche, tout à coup, se hérisse de grands rochers rougeâtres, ou bien s’éboule en un épais sablon semé de caillouitis où pousserait toute une végétation de genévriers hirsutes. Au beau milieu, là où serpente un sentier mal frayé, je ferais passer Agilulfe, bien droit sur sa selle, la lance a l’arrêt.
Il n’y a pas de défense, pas d’offense…Rien n’a de sens, dit Torrismond. La guerre durera jusqu’à la consommation des siècles, il n’y aura ni vainqueur ni vaincu, nous resterons là, plantés les uns en face des autres, pour l’éternité. Sans celui d’en face, personne ne serait plus rien ; déjà, au point où nous en sommes, chacun a oublié la raison pour laquelle il se bat… Tiens, tu entends ces grenouilles ? Eh bien, ce que nous faisons a à peu près autant de sens et de logique que tous leurs croassements et leurs gambades, de la rive dans l’eau et de l’eau sur la rive…
Mais Dieu sait comment je m’y prendrai pour vous raconter le combat : je me suis toujours tenue à l’écart des guerres, que le Seigneur nous en garde ! - mises à part les quatre ou cinq batailles rangées qui se sont livrées dans les champs, sous les murs de notre château et que nous observions, toutes gamines, de derrière les créneaux, entre deux chaudrons de poix bouillante, tous ces morts qui restaient là, sans sépulture, à pourrir dans l’herbe ! Et que nous retrouvions, l’été d’après, sous des nuages de frelons ! Bref, moi, toutes ces batailles, vous disais-je, je n’y connais rien.
C’était une donzelle aux lunes harmonieuses, au duvet tendre et à l’humeur limpide. Raimbaut en fut tout de suite amoureux.
Il apprendra lui aussi... Nous non plus nous ne savions pas que nous étions au monde... Même être, ça s'apprend...
Le moindre laisser-aller dans l'accomplissement du service donnait à Agilulfe une envie furieuse de tout contrôler, de surprendre négligences ou bévues dans le travail du voisin. Il ressentait une irritation douloureuse devant tout ce qui a été fait de travers, mal à propos.
Gourdoulou traîne un mort et pense: « Tu lâches de ces pets qui puent bien davantage que les miens, cadavre. Je ne sais pas pourquoi tout le monde te plaint. Qu’est-ce qui te manque ? Avant, tu bougeais, maintenant fais bouger les vers que tu nourris. Tu faisais pousser tes ongles et tes cheveux: désormais tu feras couler du purin qui fera croître plus haut sous le soleil les herbes du pré. Tu deviendras herbe, puis lait des vaches qui mangeront l’herbe, sang de l’enfant qui a bu le lait et ainsi de suite. Tu vois que tu es meilleur pour vivre que moi, ô cadavre ? »
Si bien à plaindre est l'amoureux qui soupire après des baisers dont il ne connut jamais la saveur, mille fois plus infortuné celui qui la goûta, cette saveur, juste un instant, et puis en fut à tout jamais privé.
Torrismond, entraîné dans la course furieuse des chevaliers, était bouleversé.
- Mais enfin, dites-moi, pourquoi ? criait-il à l'ancien qu'il suivait d'aussi près que possible : peut-être celui-là était-il encore capable d'entendre raison... Ça n'est donc pas vrai que vous êtes possédés de l'amour universel ! Hé là ! Faites attention ! Vous allez renverser cette pauvre vieille ! Comment pouvez-vous avoir le cœur de vous déchaîner contre ces déshérités ? À l'aide, ce berceau est en train de prendre feu ! Mais qu'est-ce que vous faites ?
« Allez, qu'ils courent, ils sont jeunes, qu'ils se donnent du mouvement ! » se disait Charlemagne. Croire que tout mouvement est un bien, c'est une manie d'homme d'action. Mais déjà perçait en lui l'amertume du vieillard qui souffre de voir disparaître les choses du bon vieux temps, et ne se réjouit guère de voir naître des temps nouveaux.