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Citations sur Correspondance (1944-1959) : Albert Camus / Maria Cas.. (162)

Maria à Albert
Dimanche soir, 22 septembre [1957]

Mon cher amour,
Tu ne me reconnaîtrais plus : je garde ma chambre depuis hier soir, et depuis hier soir je n’ai pris qu’un petit déjeuner. Je n’ai donc pas sauté un simple repas ; j’en ai sauté deux, et sans raison. Que t’en semble ?
Nous sommes arrivés hier à 6 heures du matin à Montevideo après un voyage en bateau de trois jours qui n’a servi qu’à me confirmer ce que je pensais secrètement mais que je n’avais osé formuler parce qu’il existe une convention plus que favorable pour les croisières. Je n’aime pas du tout le bateau de voyageurs et je déteste particulièrement la première classe. Cette roulotte marine qui tient de l’hôtel de luxe, de la plage mondaine où l’on est condamné à manger dans un faux restaurant, à faire de la gaieté factice dans une fausse boîte de nuit, à prendre des bains dans une fausse piscine qui tient du seau face à l’océan, où l’on voit les plus mauvais films dans un faux cinéma et où l’on doit dormir et se laver dans des armoires à vous rendre claustrophobes pour la vie, ne me procure aucun plaisir, et de surcroît je trouve parfaitement insupportable la cohabitation obligatoire et aimable avec des gens que l’on ne connaît pas et avec qui il semble naturel de lier connaissance. Non ! Non ! Non ! Il n’y a pas de pire prison que celle qui vous enchaîne devant le vaste horizon de l’océan et je ne trouve la mer sur un bateau de touristes que lorsque je passe une heure de solitude totale couchée sur la proue...
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Lundi soir [3 janvier 1949]
Maria à Albert

Oh oui ! Toi. Si tu savais comme j’ai de la langueur, de la nostalgie de ta présence et comme je me sens seule ! Ce soir, mon chéri, je voudrais tant pleurer contre toi, avec toi. Je voudrais tant me recroqueviller en toi. Toute petite. Me voilà toute petite et seule sans toi. Et humiliée, affreusement humiliée.
Mais laissons.
La nuit du réveillon, je n’étais pas seule. J’ai passé la soirée jusqu’à minuit et quart chez mon père avec lui et Pitou.
Il y avait la radio. Radio Espagne. Et en attendant les douze coups de l’horloge du ministère de l’Intérieur (Puerta del Sol), nous avons subi un discours de Franco, d’abord, et puis, pour me remettre à bien avec le ciel, La Vie en rose, chantée par Édith Piaf.
J’étais sentimentale, mais heureuse, patiente et bonne, réconciliée. Papa était très fatigué ce soir-là et j’ai fait de mon mieux pour le distraire. Dans tout cela, pas une seconde, tu ne m’as quittée, et lorsque minuit est arrivé je me suis tellement concentrée pour bien vouloir mes vœux que je me suis embrouillée avec mes raisins, et j’en ai mangé seize au lieu de douze, on ne sait pas très bien comment, au grand désespoir de mon père qui craignait pour ma respiration et au milieu des éclats de rire de Mireille et d’Angèle.
Quand j’ai fini, j’avais les yeux pleins de larmes et quelque chose qui les fit tous taire.
Ensuite je suis rentrée dans mes appartements privés avec toi.
Voilà mon réveillon.
...
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Maria Casarès à Albert Camus
mardi, non jeudi 30 décembre 1948
Ah viens vite et tout au creux de tes grandes jambes, maintenant que j'ai cette confiance illimitée en toi, en moi, en nous, peut-être m'apprendras-tu la confiance dans la vie !
Alors , tout se fera tout seul... Et je t'emmènerai au milieu du vent, de la pluie battante, des rosaces des vagues, dans l'odeur du varech, et je te ferai comprendre, "sale lacustre brûlé de soleil", je te ferai comprendre et aimer ce mouvement infini, tout mouillé, salé, où l'on ne peut vivre qu'au passé tellement l'instant est fugitif, inaccessible.
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Lundi [17 juillet 1944]

Depuis mercredi, je ne t’ai pas écrit. Je n’ai pas cessé d’avoir le cœur serré comme dans un étau. J’ai voulu faire ce qu’il fallait pour me débarrasser de cette idée fixe que j’avais. Rien n’y a fait. J’ai passé deux jours entiers couché, à lire vaguement et à fumer, pas rasé, et sans volonté – le seul signe que je t’ai donné de tout ça, c’est ma lettre de mercredi. Je pensais qu’aujourd’hui je recevrais ta réponse à cette lettre. Je me disais : « Elle répondra. Elle trouvera des mots qui dénoueront cette chose si affreusement serrée en moi. » Mais tu ne m’as pas écrit.
Je ne crois pas que je t’enverrai cette lettre. On n’a pas idée d’écrire avec le cœur que j’ai. Mais je ne peux m’empêcher de te dire que depuis plus d’une semaine, je suis dans une sorte de répugnant malheur à cause de toi et parce que tu n’es pas venue. Oh ! ma petite Maria, je crois vraiment que tu n’as pas compris. Tu n’as pas compris que je t’aimais profondément, avec toute ma force, toute mon intelligence et tout mon cœur. Tu ne m’as pas connu auparavant et c’est pourquoi sans doute tu ne pouvais pas comprendre. Tu m’as pourtant parlé un jour de mon cynisme et il y avait du vrai. Mais où est parti tout cela ?
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21 novembre [1944]

Heureux anniversaire, mon chéri. Je voudrais t’envoyer toute ma joie en même temps, mais il est vrai que je ne le peux pas. Je t’ai quittée hier le cœur déchiré. J’avais attendu l’après-midi, tout l’après-midi, ton coup de téléphone. Le soir, j’ai mieux compris encore à quel point je ne te possédais pas. Il y avait en moi une terrible chose nouée. Je n’ai pas pu parler.
Je m’en veux de te dire tout ça au milieu de ta fatigue. Je sais très bien que ce n’est pas de ta faute, mais que veux-tu faire contre cette douleur qui me prend lorsque je mesure tout ce qui te sépare de moi. Je te l’ai dit, je voudrais que tu vives contre moi, sans trêve – et je sais combien c’est absurde.
Ne fais pas trop attention à moi, je me débrouillerai bien. Sois heureuse ce soir. Ce n’est pas tous les jours qu’on a vingt-deux ans, ni toutes les années, je peux bien te l’apprendre, moi qui me sens si vieux depuis quelque temps.
Je ne t’ai même pas dit combien je t’avais aimée dans La Provinciale. Tu avais la grâce, la flamme, le style.
Oui, tu peux être heureuse, tu es une grande, très grande actrice. Et par-dessus tout ce qui me faisait mal, je m’en réjouissais avec toi.
Albert
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Albert Camus à Maria Casarès, Jeudi 26 août 1948
J'ai retrouvé la phrase de Stendhal qui s'applique à toi : "Mais mon âme à moi est un feu qui souffre s'il ne flambe pas !" Flambe donc ! Moi, je brûlerai.
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"Tu es entrée, par hasard, dans une vie dont je n'étais pas fier, et de ce jour-là quelque chose a commencé de changer. J'ai mieux respiré, j'ai détesté moins de choses, j'ai admiré librement ce qui méritait de l'être. Avant toi, hors de toi, je n'adhérais à rien. Cette force, dont tu te moquais quelquefois, n'a jamais été qu'une force solitaire, une force de refus. Avec toi, j'ai accepté plus de choses. J'ai appris à vivre. C'est pour cela sans doute qu'il s'est toujours mêlé à mon amour une gratitude immense."
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Vendredi 6 août 1948

Maria à Albert :

Voici la première partie de la correspondance que je devais te remettre plus tard. Je pense qu’elle t’éclairera d’une façon nette et détaillée sur l’existence que je mène. Je n’en suis pas très sûre, n’osant pas la relire de crainte d’hésiter à te l’envoyer, la trouvant trop bête, inutile et pas assez claire. Or je ne me reconnais pas le droit de revenir sur ce qui normalement aurait déjà dû être entre tes mains. En tout cas voici brièvement le tableau de ma vie d’ascète :
Régime :
• – eau
• – dix cigarettes par jour
• – lever : 8 heures
• – coucher : minuit.
Occupations par ordre d’importance :
• 1) soins de mon père toute la journée.
• 2) lectures : fini La Guerre et la Paix (quel livre !)
• Les Pléiades (admirable) (dans la juste mesure)
Les Démons (charabia curieux, génial peut-être mais cela ne m’a pas prise).
• 3) soins Quat’sous matin et soir.
• 4) Promenades en « vélo ».
Matin 10 heures
Soir 6 heures.
• 5) dormir.
• 6) manger.
Aujourd’hui, cependant, j’ai fait une exception. J’ai fumé douze cigarettes et de midi à 8 heures du soir, je suis restée à Pressagny-l’Orgueilleux, avec Michel et Janine [Gallimard]. C’est là-bas que j’ai trouvé tes deux lettres mélangées à d’autres, dans un paquet qu’Angeles m’a fait remettre par l’intermédiaire de Janine et qui moisissaient là depuis mercredi. Du coup, la journée m’a paru merveilleuse ; quant à eux, je ne les ai jamais tant aimés...
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Albert Camus à Maria Casarès
Jeudi 14 juillet 1949
Au revoir, mon amour. La mer devant moi est lisse et belle - comme ton visage parfois quand mon coeur est en repos. Te souviens-tu du dernier 14 juillet ? Celui-ci sera solitaire : je pense à Paris. Nous le détestons bien parfois, mais c'est la ville de notre amour. Quand je marcherai à nouveau dans ses rues sur ses quais, avec toi près de moi, ce sera la guérison d'une longue maladie - cruelle comme l'absence. Mais d'ici là, je reste tourné vers toi, avec autant d'anxiété que de joie, amoureux comme on dit. Mais l'amour que j'ai de toi est plein de cris. Il est ma vie et hors de lui, je ne suis qu'une âme morte. Soutiens-moi, attends-nous, veille sur nous et dis-toi bien que je t'embrasse chaque soir, comme je le faisais au temps du bonheur, avec tout mon amour et ma tendresse.
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Albert Camus à Maria Casarès Mercredi 15 heures- [ 31 janvier 1951]


Cet après-midi, mon coeur se renoircit, mais je vais retourner à ma table de galérien.
Ce serait le bonheur si tu étais là, j'ai un lit immense et tu y serais étendue à lire pendant que je travaillerais. Ah ! comme j'aimerais cela ! L'heure de la nuit tombante ne serait plus oppressante. Elle signifierait l'approche de la chaleur vraie, du livre fermé, des corps qui s'appuient l'un contre l'autre. Ma douce, ton absence fait mal. Mais je pense à toi et jet'aime, j'attends ton beau visage que j'embrasse avec précaution, au bord du sommeil, pour que tu m'emportes dans ta nuit. --A-
(p. 686)
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