Au milieu de l'hiver, j'apprenais enfin qu'il y avait en moi un été invincible.
Le vent à Djémila
On vit avec quelques idées familières. Deux ou trois. Au hasard des mondes et des hommes rencontrés, on les polit, on les transforme. Il faut dix ans pour avoir une idée bien à soi---dont on puisse parler. Naturellement, c'est un peu décourageant. Mais l'homme y gagne une certaine familiarité avec le beau visage du monde.
Avant d'entrer dans le royaume des ruines, pour la dernière fois nous sommes spectateurs.
La nature est toujours là, pourtant. Elle oppose ses ciels calmes et ses raisons à la folie des hommes. Jusqu'à ce que l'atome prenne feu lui aussi et que l'histoire s'achève dans le triomphe de la raison et l'agonie de l'espèce. Mais les Grecs n'ont jamais dit que la limite ne pouvait être franchie. Ils ont dit qu'elle existait et que celui-là était frappé sans merci qui osait la dépasser. Rien dans l'histoire d'aujourd'hui ne peut les contredire.
Des hommes et des sociétés se sont succédé là; des conquérants ont marqué ce pays avec leur civilisation de sous-officiers.
Il faut beaucoup de temps pour aller à Djemila. Ce n'est pas une ville où l'on s'arrête et que l'on dépasse. Elle ne mène nulle part et n'ouvre sur aucun pays. C'est un lieu d'où l'on revient. La ville morte est au terme d'une longue route en lacet qui semble la promettre à chacun de ses tournants et paraît d'autant plus longue. Lorsque surgit enfin sur un plateau aux couleurs éteintes, enfoncé entre de hautes montagnes, son squelette jaunâtre comme une forêt d'ossements, Djemila figure alors le symbole de cette leçon d'amour et de patience qui peut seule nous conduire au coeur battant du monde.Là, parmi quelques arbres, de l'herbe sèche, elle se défend de toutes ses montagnes et de toutes ses pierres, contre l'admiration vulgaire, le pittoresque ou les jeux de l'espoir.
Ô lumière ! c'est le cri de tous les personnages placés, dans le drame antique, devant leur destin. Ce recours dernier était aussi le nôtre et je le savais maintenant. Au milieu de l'hiver, j'apprenais enfin qu'il y avait en moi un été invincible
Il n'est pas une vérité qui ne porte avec elle son amertume.
Tout être beau a l'orgueil naturel de sa beauté et le monde aujourd'hui laisse son orgueil suinter de toutes parts.
Nous étalons tous l'heureuse lassitude d'un jour de noces avec le monde.