Puisque ta vie n’a pas de sens, fais que ta mort en ait un.
« Puisque ta vie n’a pas de sens, fait que ta mort en ait un ».
Tout ce que nous avons à décider, c'est ce que nous devons faire du temps qui nous est imparti.
« Comment comprendre cet état intermédiaire entre l’être et le non-être ? »
- Tu sais, Claire, je me sens impuissant. Et c'est ce qu'il y a de plus difficile dans ce job. Savoir qu'on est peut-être à côté de la plaque et qu'à cause de ça, une gamine va mourir.
- Accepter qu'il est possible de ne jamais atteindre la vérité, c'est un premier pas. Accepter que notre intime conviction ne va pas suffire à sauver la peau d'un innocent en est un autre.
Salah grimaça un sourire.
- Je suis restée près de trois semaines dans le coma, à un stade relativement avancé. D’après le professeur Mariani, je suis une miraculée.
- Quel rapport avec cette Elise ?
- Je ne sais combien de temps avant de me réveiller au juste, j’ai fait des rêves. J’ai eu l’impression d’avoir conscience d’exister, tout en n’ayant aucune perception de mon corps. J’étais dans un endroit que je ne pourrais pas te décrire. C’était… ni bien ni mal. Et dans ce lieu étrange, il y avait une porte. Une lourde porte en bois. J’ai le souvenir de l’odeur du chêne, des moulures dans le panneau. Et derrière cette porte, il y avait Élise.
Réjane, qui coupait sa tarte, suspendit son geste et lança un regard interrogateur à Salah.
- Tu as vu ton infirmière à travers cette porte, c’est ça ?
- Oui. Et j’ai distingué des détails très précis. Ses traits tout d’abord, les motifs en étoile de son foulard. Un carré de tissu bleu qu’elle portait pour tenir ses cheveux. Et son médaillon. Une grosse pièce ronde, probablement en or, ciselée d’un triangle inversé.
Est-ce à cause de cette programmation génétique que je sens encore mes doigts ? Non, bien sûr. Il faudra que mon cerveau intègre le fait que je ne puisse plus me servir de ce bras, qu’il ne fait plus partie de moi. Alors, les zones correspondantes finiront bien par devenir paresseuses et par l’oublier. Enfin, j’espère…
Elle imagina cette partie d’elle-même, déchirée, arrachée, collée à la tôle. À l’évocation de l’attentat, Salah manqua vomir. Sa chair pourrissait probablement dans une décharge de Kaboul, avec le reste du car. Puis elle vit des montagnes de membres arrachés, survolées par les vautours.
Stop, ma vieille. Arrête un peu de te plaindre. Tu as eu de la chance. Tu aurais pu crever là-bas.
Puisque ta vie n'a pas de sens, fais que ta mort en ait un.
Lorsqu'elle se réveilla, Maud Bérengé ne réalisa pas immédiatement où elle se trouvait, ni pourquoi ses membres ne répondaient pas aux ordres de son cerveau. Elle tenta de bouger, sans succès. Mais son dernier souvenir heurta sa conscience avec la violence d'un uppercut. Elle se mit à gémir. Un goût de sang se mêlait à sa salive et elle respirait avec difficulté. Des mains frôlèrent sa tête, fouillèrent dans sa chevelure et libérèrent ses yeux du bandeau qui les aveuglait.
Maud découvrit alors avec horreur que son corps, entièrement nu, était enroulé dans un film plastique alimentaire, des chevilles à la bouche. Le long ruban la serrait si fort qu'elle ne pouvait respirer complètement.
Assis sur la table basse juste devant elle, Stanislas l'observait. Le regard bienveillant qu'il lui jeta l'expédia au comble de l'horreur.
Dois-je croire à la destinée? Ou est-ce que la vie ne frappe qu'au hasard? Va où tu veux, meurs où tu dois... Où est la vérité dans tout ça?