Mon fils avait une passion. Certains diront qu'il en est mort. Ceux-là ont tort. Une passion ne vous fait pas mourir, elle vous fait vivre davantage.
Elle n'était pas égarée parce que, pour se perdre, il faut avoir une destination de laquelle dévier.
Il connaissait des gens qui apprenaient par coeur des citations pour être ensuite capables de les transformer en maximes et les ressortir en public au gré des conversations, afin de mieux y briller. Ce carnet n'avait pas ce but. C'était juste un aide-mémoire, un recueil gavé d'années de lecture, des pages qu'on feuillette régulièrement, pour les déguster avec gourmandise. Des compagnes de vie....
La guerre, qui s'était achevée plus de six ans auparavant, avait échoué à apporter durablement la lumière. L'armistice aurait du être une aurore. Il avait été à peine un après-midi.
Avec prestance,
Ils dérobent
Aux îles fantastiques
L’aimé et le rêve.
Avec panache,
Défiant l’horizon de leurs toiles tendues,
Aux vents complices et aux astres bienveillants,
Ils sourient, onduleux.
Ainsi passent
De beaux bateaux rapides et lumineux,
D’une valeur comparable
Aux châteaux dressés vers le ciel.
Attends patiemment,
Depuis les cailloux gris ;
Ces oiseaux voleront à toi en amis fidèles,
Excitant le vertige de leurs ailes agiles.
Il y a une histoire que les gens de là-bas racontent et que beaucoup prennent au sérieux... Celle des naufragés hurleurs. Il y a longtemps, un soir de tempête, un bateau a fait naufrage près de Bréhat. [...] On dit que les rochers se sont ouverts pour leur offrir une sépulture décente. Et, depuis, il arrive qu'on entende leurs hurlements. Ils sont si insupportables que celui ou celle qui les entend en perd connaissance. Malheur à lui s'il est sur l'eau! C'est ainsi que s'accomplit la vengeance des naufragés hurleurs.
"Les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent haut".
— Où as-tu caché tes fausses preuves, espèce de vieux fou ? grogna-t-il à voix haute.
En guise de réponse, au-dessus de sa tête, une lame du plancher grinça. Un craquement, un seul, mais bien distinct. Il avait connu une telle frayeur dans le grenier que la peur ne trouva aucun terrain fertile pour prendre racine. Il se précipita au pied de l’escalier.
— Il y a quelqu’un ? cria-t-il.
Le silence en retour, tel qu’on n’en trouve jamais dans les vieilles maisons. Puis, à nouveau un bruit, plus marqué, quelque part dans l’enfilade des pièces du bas. Il les traversa ; elles étaient dépeuplées et immobiles. Sauf la dernière. L’échelle était posée contre la poutre centrale, bien calée, et la trappe avait pivoté, laissant passer un courant d’air gelé. Il grimpa à nouveau. Le grenier était vide. Il referma la lourde trappe et ôta l’échelle.
Il n’y avait que des récifs plus ou moins émergés . C'était comme si avait été pulvérisé dans les cieux un immense bloc de granit , dont les débris étaient tombés sous forme d’averse dans la mer et venus se planter là.
Et puis, il se mit à entendre des voix. Au départ, il crut que c'était le bourdonnement dans ses oreilles qui s'amplifiait. Mais il distingua bientôt des plaintes, une nuée de plaintes, des plaintes de souffrance. Ces plaintes se transformèrent alors en cris, des cris d'effroi, des cris de mort. Ils provenaient d'en dessous des flots, des profondeurs rocheuses. Plus le jour s'en allait, plus ils prenaient sa place. Les naufragés hurleurs, eut-il encore la force de penser. Ils étaient si bruyants qu'il entendit à peine, au loin, un coup de canon.