Pour nous, les enfants orphelins, le lien est un défi. Il exige la prise d’un risque énorme, celui d’être à nouveau abandonné. Le départ prématuré de nos parents nous a ôté bien plus que des présences aimantes, il nous a privé de cette confiance dans la vie, la confiance que les relations peuvent durer, que l’autre peut rester.
Chère maman,
Aujourd'hui après 12 ans d'absence, j'a déposé mes valises dans notre maison. Je me suis mise à genoux et j'ai pleuré. Là, dans l'entrée. Plusieurs heures se sont écoulées. Les sanglots semblaient venir de profondeurs insoupçonnées. Ni pensée, ni image, juste des larmes, mes yeux rivés sur le joli dessin du carrelage ancien, le même qui a accueilli mes jeux d'enfants pendant que tu cuisinais plus loin. La maison de mon enfance jadis si grande a rétréci avec les années. Elle s'est tassée comme une vieille dame sous la pression de mon regard d'adulte.
Bien sûr, l’orphelinat employait aussi des passionnés, ceux qui voulaient faire une différence pour ces enfants abandonnés. Ils sourient et lisent de longues histoires le soir, ils s’attardent et veulent combler les vides omniprésents d’une maison remplie de parents absents. Chaque enfant y crie sa souffrance silencieusement, elle prend milles formes, un pipi au lit, un refus devant le repas du soir, des difficultés à trouver le sommeil, autant de tentatives vaines de ne pas grandir.
J'ai toujours admiré ceux qui savent être détendus en toutes circonstances. Ces êtres qui se promènent comme s'ils avaient tout le temps, comme si rien ne pouvait jamais être grave ni urgent. Convaincus que rien ne pourra leur arriver, ils traversent la vie, un sourire sur les lèvres.
Les mystères peuplent déjà leur vie d'enfant. Pourquoi papa s'assied quand maman range ? Pourquoi maman préfère-t-elle jouer toute seule dans sa cuisine plutôt qu'avec nous dans le salon ? Pourquoi faut-il prendre un bain tous les jours alors qu'on se salit le lendemain et qu'il faut tout recommencer ?
Parfois, j’ai même peur de parler trop fort, que l’on se rende compte que j’existe toujours, que ma vie ne m’a pas tuée.
Mais j'ai appris une chose... On ne choisit pas un rêve parce qu'il est réalisable, on le choisit parce qu'il a un sens pour soi, parce qu'il donne du sens à une vie.
Ernest Jaco avait noté dans son carnet une phrase de Louise, une phrase qui le tracassait. Il sortit son calepin pour la relire : On dirait que Gabrielle ne voulait pas qu'on s'aperçoive qu'elle était en vie. C'était paradoxal, elle qui justement était tellement vivante.
Pleurer avec Henri. Pleurer sa perte avec lui. Pleurer à l’idée de devoir renoncer à tous ceux qu’elle aime parce que, dans sa petite vie, la perte était devenue une possibilité. Omniprésente.
La maison de mon enfance jadis si grande a rétréci avec les années. Elle s'est tassée comme une vieille dame sous la pression de mon regard d'adulte.