- C’est très bien, 3 étoiles ! 5, c’est pour les grands chefs-d’œuvre. Pour Joyce, Virginia Woolf...
- Dans ton monde, peut-être, mais pas sur Internet ! Il y a plein de livres très moyens, et même pas bons du tout, qui ont 5 étoiles sur Internet. Des trucs très commerciaux, que tu détesterais.
Dans mon esprit, la célébrité arrivait après avoir peint Guernica ou découvert la pénicilline, pas après la mise en ligne d'une vidéo vantant les mérites d'un gloss à paillettes.
J'aurais pu intenter un procès à mon enfance, porter plainte contre les années 80. Pour m'avoir induit en erreur, m'avoir fait croire que tout ne basculerait pas, qu'on se méfierait de la technologie, qu'on lirait toujours Aragon, Bukowski, Carson McCullers, que quelqu'un comme Richard Russo serait un peu connu, que l'humanité ne deviendrait pas complètement débile, obsédée par l'argent, le foot, les marques, que nos pires cauchemars resteraient de l'ordre du phantasme. J'aurais dû, je suis sûr que j'aurais touché des dommages et intérêts.
On parle bien de la même chose, m'a-t-elle coupé. C'est un miracle. Un vrai miracle. Le animaux, c'est un des moyens dont Dieu dispose pour nous prouver son existence. Il a mis ce chien sur ton chemin parce qu'il a décidé de prendre soin de toi. ça compense pour toute la merde qu'il t'a envoyée ces dernières années. Tu as intérêt à en profiter.
Elle partageait la vie d'un romancier sur le point de publier son troisième opus et s'était entichée d'un type qui faisait des détartrages, arrachait des chicots pourris [...].
Je ne comptais plus.
Le temps filait sans faire cas de mon existence, qui allait à son rythme, plus lent. On me passait devant à la poste, à la boulangerie, sans penser à mal, simplement parce qu'on ne m'avait pas vu. On ne m'écrivait plus, je ne recevais plus de textos, plus d'emails, même promotionnels, et de plus en plus, sans explication, m'arrivaient des lettres adressées à un certain Jacques Mollard, que je ne connaissais pas.
Souvent, je montais dans ma voiture sans avoir rien décidé, je me trouvais pris dans les embouteillages et réalisais que c'était là que je voulais être : coincé dans les bouchons, comme quelqu'un qui aurait eu une vie ordinaire, un travail normal.
Notre prise de contact fut glaciale. J'avais autant envie de garder ce chien que de passer une coloscopie et lui ne semblait pas dans de meilleures dispositions.
Il avait un accent incroyablement fort, les mots semblaient danser en sortant de sa bouche.
En quelques minutes, quelques secondes, même, je me réappropriai le plus grand des plaisirs. Écrire. Revisiter le monde des rêves à cinq heures de l'après-midi. Attraper les mots, les soupeser comme des tomates au marché. Parler avec son ventre autant qu'avec sa tête. Tout lâcher et tout contrôler à la fois. Dire. Dire la vérité. Raconter au plus près, au plus vrai, la folie de ce monde, sa cruauté et sa drôlerie. Faire comme si tout cela avait un sens.
Autant dire qu'avec mes 224 amis sur Facebook, romancier ou pas, elle avait à peu près autant de considération pour moi que pour les crottes de nez de ses enfants.