si je l'avais tué je le dirais. on n'en est plus à un près
De façon assez peu flatteuse pour son ami, il considérait comme allant de soi une distribution des rôles où lui était le brave type guère expérimenté en amour et elle la sirène qui par pure malice, pour s’assurer de son pouvoir et détruire un foyer qu’elle enviait, l’enserrait dans ses filets. Voilà ce qui arrivait quand on n’avait pas fait les cent coups à vingt ans, on se retrouvait à bientôt quarante ans en pleine crise d’adolescence.
Mais la seconde fois, avant de la quitter, il lui a dit qu'il avait quelque chose d'un peu délicat à lui annoncer : Il l'aimait.
Il dit : « Le côté social était faux, mais le côté affectif était vrai. » Il dit qu’il était un faux médecin mais un vrai mari et un vrai père, qu’il aimait de tout son cœur sa femme et ses enfants et qu’eux l’aimaient aussi .
En roulant vers Paris pour me mettre au travail, je ne voyais plus de mystère dans sa longue imposture, seulement un pauvre mélange d'aveuglement, de détresse et de lâcheté. Ce qui se passait dans sa tête au long de ces heures vides étirées sur des aires d'autoroute ou des parkings de cafétéria, je le savais, je l'avais connu à ma façon et ce n'était plus mon affaire. Mais ce qui se passe dans son coeur maintenant, aux heures nocturnes où il veille pour prier?
Son cerveau lui faisait mal, il aurait voulu pouvoir le retirer de son crâne et le donner au lavage.
Il est possible aussi qu’il n’ait rien dit du tout, seulement pensé à dire, rêvé de dire, regretté de n’avoir pas dit et pour finir imaginé qu’il avait dit.
Je suis entré en relation avec lui, j'ai assisté à son procès. j'ai essayé de raconter précisément, jour après jour, cette vie de solitude, d'imposture et d'absence. D'imaginer ce qui tournait dans sa tête au long des heures vides, sans projet ni témoin, qu'il était supposé passer à son travail et passait en réalité sur des parkings d'autoroute ou dans les forêts du Jura. De comprendre, enfin, ce qui dans une expérience humaine aussi extrême m'a touché de si près et touche, je crois, chacun d'entre nous.
Quand on est pris dans cet engrenage de ne pas décevoir, le premier mensonge en appelle un autre, et c'est toute une vie...
Une lucidité douloureuse vaut mieux qu'une apaisante illusion.