À peine terminée la lecture de cet ouvrage, il me semble indispensable de m'atteler sans plus attendre à la rédaction de sa critique. Sans cela, comment réussir à retenir le flot impressionnant d'images, voire d'interrogations, qui m'ont accompagnées tout au long de ma découverte ?
Ouvrage le plus attendu de la rentrée littéraire, projet énorme et ambitieux, maintes fois aperçu sur Babelio, je n'ai pas hésité une seule seconde lorsque je l'ai vu, enfin disponible, sur le rayonnage de la bibliothèque.
Sept ans de recherches et de rédaction, ainsi que trois ans de pratique chrétienne, sont, je le savais déjà, à l'origine de ce livre épais, fruit d'une mûre réflexion de l'auteur sur un sujet aussi vaste que complexe : la religion chrétienne. C'est donc en enquêteur qu'
Emmanuel Carrère se propose ici de nous guider à travers l'histoire, de combler ses lacunes et autres passages obscurs. Mais pas seulement. Car, plus qu'une investigation historique, c'est à un véritable retour sur lui-même que se livre l'auteur, presque incrédule devant une foi qui l'aura habité durant, tout de même, trois années.
Le travail d'enquête, les lectures et analyses poussées et visiblement menées avec un grand sérieux, m'ont conquise. En effet, là où il est possible de se désoler des parutions régulières d'ouvrages religieux toujours fondés sur les mêmes documents, et donc répétitifs,
le Royaume fait l'effet d'un pavé jeté dans la mare, truffé de détails, de révélations, parfois évidentes, parfois bouleversantes. le travail mené en amont par l'auteur est réellement colossal, et j'imagine très complexe. Dates, lieux, descriptions, recoupements divers, un vrai travail de fourmi pour ces évènements remontant à plus de deux mille ans. Cela en ferait presque un tout autre monde, un tout autre univers, si lointain que nous serions bien malaisés de chercher à en saisir la réalité. Et pourtant, l'auteur relève le défi, s'attache aux personnages cachés derrière les textes sacrés, chemine avec eux, esquisse leurs traits de caractères, pour les rendre, finalement, plus humains qu'ils ne l'ont jamais été. Chaque anecdote soulève de nouvelles interrogations, décide le lecteur à poursuivre sa découverte. Et c'est ainsi que les pages défilent, sans même que l'on s'en rende compte.
Pour autant, je ne suis pas entièrement convaincue. En effet, certains aspects du Royaume m'ont laissé plutôt sceptique, voire même très réservée.
Si l'ouvrage est riche en matière, il me semble pourtant que l'auteur aurait gagné à soigner un peu plus le style de l'ensemble, que des expressions trop familières, contemporaines, font visiblement perdre en valeur. L'analyse des textes et de leur stylistique ne devrait-elle pas, au contraire, encourager à des formulations plus travaillées ? Sans tomber dans l'excès, il me semble ainsi que le recours à certaines tournures aurait pu être évité, même si ce décalage flagrant est peut-être intentionnel.
D'autre part, quelque chose ici m'a laissé une sensation désagréable, un léger malaise. Au début de ma lecture, j'ai été frappée par les doutes et interrogations de cet homme tout habité par une foi inattendue qui venait, comme cette "Bonne Nouvelle" évoquée, transfigurer sa vie. Et, peut-être parce que j'ai vécu moi aussi cette lutte entre la foi et la raison, la passion et la croyance, je l'ai compris et ai trouvé dans ses mots un véritable écho à mes ressentis.
Toutefois, l'incrédulité, la sorte de honte que cet homme éprouve désormais au souvenir de cette époque me laisse un peu amère. J'ai eu de nombreuses fois l'impression - subjective je l'avoue - que ce sentiment d'embarras le conduit à s'en prendre un peu plus durement que nécessaire à toutes les choses qu'il juge comme incohérentes ou stupides, et qui sait qu'il y en a ! Dénoncer certains préceptes contraires à la nature humaine (nécessité de s'abaisser pour être exalté, charité toujours plus conséquente et donc presque irréalisable), d'accord, mais de là à traiter les Apôtres de "pauvres types", de "bras cassés", tout cela sonne un peu trop parti pris, du moins à mon avis. de même, j'ai plus d'une fois été lassée et presque légèrement énervée par cette façon d'affirmer que oui, ceci est vrai, et que non, cela a été inventé de toutes pièces. Cela n'est ni plus ni moins que son avis, et qui pourrait se vanter, sur un sujet aussi mystérieux de détenir la vérité ? C'est cette sorte d'ironie latente qui m'a ici le plus dérangée. La sensation d'un personnage qui, bien que visiblement doué dans son domaine, développe une fâcheuse tendance à surjouer son rôle.
En résumé, je garderai un bon souvenir de ce livre en ce qu'il est impossible d'en ressortir absolument le même qu'avant d'avoir parcouru son ensemble. S'il m'est difficile d'imaginer que tous les croyants se montreraient enjoués à la perspective d'une telle découverte, il me semble pourtant que cet ouvrage gagne à être lu et médité, en ce qu'il replace chacun devant sa conception du monde, des origines, et plus largement, des grandes questions de notre existence.