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Critique de BenoitMX


Au départ, le projet d'Emmanuel Carrère est celui d'un petit livre léger sur le Yoga, une sorte de reportage sur le vécu concret d'un pratiquant – pratiquant qui s'avoue modeste et pas toujours exemplaire, néanmoins assidu depuis de nombreuses années… Mais les choses prennent, à l'épreuve de la vie, une toute autre tournure : d'abord il en vient à douter de l'intérêt réel du yoga, puis il connaît un épisode de dépression aigue qui le mène vers une toute autre expérience…
Au final, on trouve beaucoup de choses intéressantes dans ce roman : une quinzaine de définitions très concrètes de la méditation, un témoignage de première main sur une dépression lourde (4 mois passés à Sainte Anne et un traitement d'électrochocs) et sur la bipolarité (quand les fluctuations de la conscience, dites vritti dans le vocabulaire de la méditation, deviennent des montagnes russes) et puis aussi toutes sortes de considérations générales sur la vie, les amitiés (notamment celle avec Bernard Maris, brisée par son assassinat en janvier 2015), les amours aussi – encore qu'elles aient manifestement pour bonne partie été « coupées au montage » du fait du droit de refus de l'intéressée.
Une sorte de balancement conquiert progressivement le livre, qui permet, en les entrechoquant les unes contre les autres, d'approfondir ces différentes expériences de l'auteur, et d'accéder à des questions plus profondes… Mais ce même balancement, revendiqué « bipolaire », conduit aussi à une réflexion un peu manichéenne… Ainsi quand Emmanuel Carrère est taraudé par cette question : quelle est l'Expérience fondamentale de l'homme : douleur infinie ou joie infinie ? – ou comme il le résume : Dostoievski ou Dalaï Lama ? Il y a dans ce côté binaire quelque chose qui nuit à l'« enquête existentielle » dans laquelle Emmanuel Carrère arrive par ailleurs, de manière plaisante, à nous entraîner… Un côté trop « philo de comptoir », au risque de se perdre dans de « fausses questions » – ou de perdre de vue d'autres interrogations, plus intéressantes : par exemple ce moment où, jouant Orwell contre Ram Dass, Carrère se demande ce qui, en définitive, fait la vérité d'une expérience, sa consistance… sans approfondir.
En définitive, le livre, tout intéressant et plaisant qu'il soit, peine à décoller et à vraiment embarquer son lecteur... Il lui manque un petit supplément d'âme – supplément qu'il y avait notamment dans Un roman russe, que l'on ne trouve pas ici… Est-ce à dire que ce sont les passages qui ont dû être retranchés du livre à la demande de l'ex-compagne d'Emmanuel Carrère, qui lui ont enlevé son « sel » ? Que ce seraient donc les passages les plus « exhibitionnistes » (et flattant des pulsions voyeuristes du lecteur) qui feraient prendre la mayonnaise dans les romans de Carrère ? Peut-être… Mais en raisonnant par différence avec Un roman russe, il semble que ce roman avait également autre chose, qui manque à Yoga : le comique.
Dans Un roman russe, le narrateur entreprenait de faire une grande blague à sa compagne et à l'ensemble du pays, en publiant dans le journal le monde une nouvelle érotique… Or cette grande blague, non seulement faisait un flop, mais de surcroît se retournait contre lui… Un comique digne de la plaisanterie, de Kundera, qui repose sur ce malentendu dont l'homme est structurellement la dupe : d'un côté il y a les histoires qu'il se raconte sur lui-même et les autres, ses fantasmes, son « effort pour donner une forme narrativement satisfaisante à son existence », et d'un autre côté, il y a les « vicissitudes existentielles qui en résultent », les événements immaîtrisables qui contrecarrent son aspiration à la maîtrise et qui, revenant en boomerang, le conduisent à la débâcle…
Il y a bien de la débâcle dans Yoga, mais sans comique – tout juste cet humour léger dont Carrère sait égrener son propos…
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