« Se souvenir de la peur puis de l'amour. Des rires solides et des nombreux silences...
« L'eau des oliviers. Des baignades de l'enfance.
...De l'appel sourd du maquis. Blessé, mélancolique et fier. »
Dès les premiers mots,
Cécilia Castelli nous entraîne magnifiquement dans toute la complexité d'une histoire où la Corse nous est présenté comme un personnage à part entière, belle et rebelle, rude, sauvage, envoûtante.
Une Corse ambivalente qui étale d'une part sa beauté (ses criques, ses montagnes, ses paysages sublimes, sa Méditerranée...). Mais qui conserve aussi toute sa rudesse, sa dureté, ses secrets, la « sévérité d'une lourde transmission ». Et où les rituels, les figures surnaturelles, les incantations, les vieilles croyances, l'occhju (le mauvais oeil) restent vivaces.
Une Corse ambiguë aussi, où le vivant côtoie la mort. Morts de Simon Graziani, du grand-père de Baptiste et
Christophe, celle aussi du bébé
Arnaud, cachées, occultées, mais toujours présentes en filigrane.
Et c'est dans ce cadre à la fois mystérieux et idyllique, paisible et terrifiant, que, chaque été, le jeune
Rémi quitte le continent pour passer ses vacances sur l'île et retrouver ses deux cousins, Baptiste et
Christophe, à qui il voue une réelle admiration.
Cécilia Castelli nous décrit leurs premiers jeux d'enfants, les parties de cartes chez la tante Maria, la « sorcière de Serra-di-Ferro », puis, plus tard, devenus adolescents, les soirées sur la plage, autour d'un feu de camp.
Pour raconter l'histoire, l'auteure procède par petites touches, chaque élément étant essentiel pour comprendre comment se construit, se dessine, au fil des ans, le profil identitaire des trois garçons. L'île, dans ses aspects multiples et contradictoires, permet de justifier l'acceptation de l'autre ou le repli sur soi, la bienveillance ou la haine, la douceur ou la violence. Et elle peut aussi légitimer la détestation de l'étranger, fortifiée et entretenue au sein de la famille, jusqu'à conduire au drame.
«
Frères soleil », bien plus qu'une belle histoire, très bien construite, circulaire, où l'arrivée se confond avec le point de départ, a été pour moi une véritable plongée dans l'univers de l'île. J'ai été heureuse d'y retrouver ce que j'en savais déjà, et de découvrir, magnifiquement soulignés par la très belle écriture de l'auteure, tous ses aspects cachés.
En ne laissant rien se perdre de la complexité de son île,
Cécilia Castelli en devient une excellente ambassadrice. Elle nous permet aussi d'affûter notre regard sur une Corse, tiraillée entre traditions et modernité, pouvant représenter l'allégorie de nos propres contradictions.
Rachel