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Critique de Erik35


UNE FEMME CONTRE LES INJUSTICES D'UN MONDE MÂLE.

Que sait-on, aujourd'hui, d'Olympe de Gouges ? La question peut sembler un rien provocante, tandis que son nom est aujourd'hui sur bien des lèvres, pour peu que l'on soit attaché à l'égalité universelle entre les sexes. Mais il n'en a pas toujours été ainsi et la quasi redécouverte de ce personnage certes haut en couleur, révolutionnaire par bien des aspects (et sans doute plus sur ces aspects-là que ceux ayant l'estampille historique ad hoc), aussi intéressant qu'attachant ne date en réalité que de la fin du siècle passé.

C'est en particulier par ce pastiche - sérieux et sincère mais jugé de fort mauvais goût en son temps - de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen, qu'elle allait rebaptiser Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne que la citoyenne Gouges allait se refaire une réputation d'outre-tombe. Mais ce serait vraiment réduire de beaucoup une vie aussi brève que palpitante à ce seul vibrant libelle.

Née Marie Gouze d'une mère, Anne-Olympe, mariée jeune à Pierre Gouze, bourgeois de Montauban et maître boucher, mais d'un géniteur très probablement issu de la haute noblesse, le marquis et académicien Jean-Jacques Lefranc de Pompignan (lequel était aussi le parrain de sa maîtresse. Il n'y avait cependant que trois ans de différence d'âge entre eux), le ci-devant marquis ne voulu jamais reconnaître cette "bâtarde", au contraire de Gouze.
Mariée très tôt comme il était d'usage à l'époque - elle avait dix-sept ans - à un homme choisi par sa mère devenue veuve une première fois mais remariée, elle fut presque aussitôt débarrassée, d'une mauvaise fièvre, de cet homme qu'elle n'aimait point, dès l'année suivante. Elle eut le temps d'en avoir un fils mais ne se remaria jamais, malgré une longue, belle et très libre histoire avec un noble lyonnais aisé du nom de Jacques Biétrix de Rozières, qui lui assurera son train de vie presque jusqu'à la fin et malgré leur séparation un peu avant la révolution.

Libre de coeur et de corps, elle le fut aussi d'esprit : bien que très attachée à l'esprit des lumières, elle détesta cordialement Voltaire qui avait eu la mauvaise grâce de flétrir le nom de son académicien de géniteur, par toute une série de libelles d'abord, le coup de grâce ayant été donné à la suite d'une pièce du montalbanais intitulée Didon -très vitement surnommée "Dindon"- à laquelle Voltaire répondit par une autre pièce au doux titre de "Le Fat puni" où chacun pu reconnaître sans mal le fameux marquis, devenu très dévot depuis son remariage avec une dévote très fortunée...

C'est aussi que la jeune femme, qui prendrait bientôt pour pseudonyme celui sous lequel nous la connaissons aujourd'hui, Olympe de Gouges, adopte les engagements de son temps et puisqu'elle déteste Arouet elle adorera Rousseau (elle s'appliquera même à suivre au plus près les préceptes défendus dans l'Emile pour l'éducation de son fils Pierre) ! Pourtant, nul doute que son caractère, sa verve, son sens de la répartie et son amour du théâtre (que Jean-Jacques jugeait comme le pire des arts) s'approchait bien plus de celui de l'auteur de Zadig que de celui des Rêveries du promeneur solitaire...

La vie de la jeune provinciale bascula véritablement lorsque, à l'âge de vingt-cinq ans, elle suivit son amant à Paris. Y apprenant presque tout (elle savait alors à peine écrire) et très vite, elle y rencontrera une bonne partie de la vie intellectuelle et artistique de son temps : les Condorcet (Sophie de Condorcet, l'épouse du grand scientifique, anti-esclavagiste et éminent révolutionnaire, fera découvrir, à Olympe, par ses traductions, une autre féministe de l'époque, la très virulente Mary Wollstonecraft), Louis-Sébastien Mercier (dont on redécouvre peu à peu l'oeuvre injustement oubliée), Talma (qui fut, probablement, le plus grand comédien de son époque), le couple Helvétius (qui tenait l'un des salon les plus réputés), le fameux chevalier de Saint-Georges (qui l'aida dans sa prise de conscience du drame de l'esclavage), elle croisera Benjamin Franklin, admirera Mirabeau presque autant qu'elle adula Rousseau (qu'elle ne fit jamais qu'apercevoir), sera admise auprès de Philippe d'Orléans, futur Prince du sang et bientôt rebaptisé "Philippe Égalité", connaîtra Pilâtre de Rozier, précurseur de l'aéronautique (elle assista à ses cours) et bien d'autres encore, importants hier, oubliés aujourd'hui.

Passionnée par les arts de la scène, elle posséda son propre théâtre amateur ; elle rédigea plusieurs pièces à thèmes, en faveur du divorce par exemple, mais la pièce qui aurait pu faire sa renommée avait pour sujet un propos lui tenant particulièrement à coeur : l'esclavage, dont elle fut une ardente et sensible adversaire. Mais les comédiens de la comédie française - qui étaient alors seuls à Paris à détenir un privilège royal, imposant un dictact honteux aux autres salles -, s'ils acceptèrent cette oeuvre à leur répertoire furent de si mauvaise grâce à la représenter qu'elle sombra dans l'oubli presque aussitôt jouée. Il faut dire que nombre d'esclavagistes avaient leur propre loge et les contrarier aurait pu être dommageable pour les finances de l'institution...

Lorsqu'arriva la révolution, Olympe prit résolument parti pour les girondins (favorables, pour aller très vite, à une monarchie constitutionnelle, pour un pouvoir décentralisé, une certaine autonomie laissée aux provinces, prônant généralement un certain libéralisme tant de moeurs qu'économique et politique. Ils votèrent contre la mort du roi). Elle-même était propice au maintien de la royauté, au sein d'une monarchie constitutionnelle. Il faut dire aussi qu'elle avait trop d'amis aristocrates - bien que généralement parmi les plus "éclairés" qui soient - pour ne pas s'inquiéter des chemins mortifères vers lesquels la Révolution semblait se diriger, sous la houlette des Marat, Collot d'Herbois (une sorte d'ennemi intime d'Olympe), des Fouquier-Tinville, Danton, Desmoulins, Saint-Just ainsi que son plus symbolique représentant d'alors, Robespierre.

Après s'être attiré l'ire de Marat jusqu'à son assassinat, elle fit tant et si bien contre Robespierre par toute une série de libelles et d'affiches qu'elle finit ainsi par s'attirer les foudres du Comité de Salut Public, l'accusant, suite à la dénonciation de son afficheur, de défendre le régime monarchique par le biais d'un texte qui n'eut même pas le temps d'être placardé "les trois urnes" dans lequel elle tâche de défendre une position modérée ne rejetant ni l'aristocratie ni la royauté dans les enfers révolutionnaires. Après quelques mois de prison, y poursuivant malgré tout, avec courage, son oeuvre polémique et ses diatribes à l'encontre de Robespierre qu'elle compare à un Tyran, elle sera jugée et condamnée à mort le 2 novembre 1793, en plein dans cet épisode sanglant de la Révolution Française nommé, par décret du 5 septembre de cette même année, la Terreur. Elle sera guillotinée le lendemain. Elle avait Quarante-cinq ans.

Ce beau "pavé" de quelques cinq cent pages (en comprenant les notices bibliographiques), avec Catel Muller au dessin et José-Louis Bocquet au scénario n'a pourtant pas pour illusion de rendre in extenso la vie hautement trépidante d'une jeune femme engagée de la fin de ce XVIIIème siècle si remuant. On pourra peut-être lui reprocher de ne présenter que cette "France d'en-haut" de l'époque - même si la future Olympe est d'extraction sociale "moyenne", malgré un géniteur de la haute noblesse provinciale -, de trop centrer l'histoire sur et autour d'Olympe, passant très vite sur les remous politiques et sociaux de l'heure, mais le parti-pris est aussi défendable que parfaitement assumé par les deux auteurs. Par ailleurs, l'ascension de cette jeune femme fut telle qu'elle n'eut guère le temps de demeurer véritablement au sein des classes sociales les plus basses. Mais cela ne l'empêcha jamais d'en connaitre et d'en ressentir la misère et les souffrances.

Bien que l'on redécouvre depuis une trentaine d'année l'oeuvre militante de cette femme, (on retiendra tout particulièrement le "Ainsi soit Olympe de Gouges" de Benoîte Groult, une biographie facile d'accès et présentant un choix de ses textes engagés), énergique, altruiste, digne et fière, il était bon que soit publié une telle biographie (que l'on pourra estimer romancée mais qui colle d'aussi près que possible à l'existence passée de Marie Gouze) au dessin très vif, facilement lisible, donnant mieux à comprendre les atmosphères, les caractères de l'époque que n'aurait pu le faire un dessin au style plus réaliste mais peut-être plus ampoulé ou trop éloigné des canons du genre. Quant au texte, il allie extraits d'oeuvres, bon mots véridiques et dialogues contemporains parfaitement intégrés sans jamais céder à une sorte d'esthétisme linguistique improbable, travers fréquent des bande-dessinées à caractère historique.

Sans oublier les incontournables repères biographiques de fin d'ouvrage, de même qu'une belle galerie de portraits de femmes et d'homme qui croisèrent, directement ou indirectement, la vie d'Olympe, se concluant sur une assez complète bibliographie, il est important de préciser que tout "roman graphique" puisse-t-il être, ce réjouissant et utile volume se place sous l'angle du sérieux historique.

On reprochera peut-être cet angle donné à l'ensemble qui donne le sentiment, une fois le livre achevé, que l'oeuvre d'Olympe, sa vie, ses engagements eurent plus d'importance en son époque que l'histoire ne le montre, malgré toute la meilleure volonté du monde. Olympe de Gouges fut sans aucun doute un esprit merveilleux, enthousiaste, jamais las de la lutte contre les injustice - toutes les injustices - employant son temps, son énergie, ses biens (et un peu ceux de ses proches...), ainsi que tous les moyens de communication de son siècle pour faire évoluer les mentalités, les hommes et les lois. Mais ce n'est pas lui faire injure que d'estimer son action comme secondaire dans le flot tumultueux des cinquantes dernières années du siècle des lumières.

On ne peut, somme toute, lui reprocher que l'irréprochable - ce contre quoi elle lutta de toute son âme -, qui est d'avoir été femme dans un monde qui ne laissait place qu'aux hommes pour toute autre chose que la maison, la maternité et l'éducation des jeunes enfants. Venue trop tôt avec des idées trop neuves (et plus encore pour le siècle abominablement réactionnaire à venir), il n'est que justice de montrer enfin ce que furent ces quelques trop rares esprits féminins dont l'histoire a cependant pu garder autre chose qu'un simple nom dans un registre d'état-civil...

Au-delà de ses combats, essentiels, - celui pour les femmes et celui pour les esclaves en tête - c'est aussi l'exemple d'un esprit libre, d'une parole libre et d'une vie aussi libre que le permettait la société de son temps qu'il est bon de retenir, de mettre en avant. Un tel message demeure universel : plus que jamais s'en souvenir !
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