Il y a quarante ans, maître Kurogiku a quitté son Japon natal. Parti à la poursuite d'un rêve, il s'est installé en Toscane, dans une bâtisse en ruine. Il y fabrique le « papier de la paix et de l'harmonie », médite et plie les origamis, ce qui
lui a valu son surnom.
Que pourrais-je dire à propos de ce roman ? Mmmmh ! Que c'est beau !
Un peu trop court et facile pour une critique ? Bon...
Passons sur l'histoire. Il n'y en a pas vraiment et la quatrième de couverture révèle déjà presque tout ! Mais est-ce l'histoire qui donne sa valeur à un livre ? J'ai souvent entendu
Philippe Djian dire qu'il se moquait bien de raconter une histoire. Ce qui
lui tenait vraiment à coeur, c'étaient le style et la langue. Cette idée convient bien à «
Monsieur Origami ».
Pourtant, il y a bel et bien une aventure contée par
Jean-Marc Ceci. Une vraie aventure intérieure, d'abord. Ensuite, n'est-ce pas une réelle odyssée que de quitter son pays, alors qu'on sort à peine de l'enfance, pour aller vers l'inconnu ? Une quête fabuleuse et désespérée, un pays dont on ignore tout, même la langue, même l'écriture, et de partir avec pour seuls biens un « kimono noir, son savoir du washi et ses arbres. » Et encore, c'est un bien grand mot pour désigner trois frêles plantules porteuses, néanmoins, d'un formidable espoir. Ce sont les boutures de kozo, le mûrier à papier, qui doit permettre à Kurogiku de pratiquer son art. Il faudra donc une infinie patience. Attendre que les pousses fragiles grandissent et deviennent arbres, qui engendreront une forêt. Combien de temps avant de pouvoir couper les branches et entreprendre le long et minutieux processus qui les transformera en un washi parfait ?
Le maître ne parle pas. Il médite devant une feuille qui semble froissée. Il ne possède rien. le toit qui l'abrite est la propriété d'un inconnu. Au cas où ce
lui-ci réclamerait son bien, Kurogiku devrait tout abandonner.
A ses côtés, il y a Elsa. Quel est son rôle ? Mystère. Nous la voyons s'occuper des kozos. D'où vient-elle ? Pourquoi reste-t-elle dans cette thébaïde ? Nous ne le saurons pas.
Quand Casparo arrive, les villageois
lui parlent d'un ermite qu'ils nomment «
Monsieur Origami » On l'a donc dépossédé de son identité. Personne n'a cherché à connaître son véritable nom . Personne ne s'est soucié de savoir qui il était.
Mais peut-être Kurogiku n'aurait-il pas répondu ? Cependant, il se livre à Casparo. Il paraît être un vieux sage, alors qu'il n'est pas si âgé : quand il est parti, il avait vingt ans. Il vit sur sa colline depuis quarante ans. Casparo et Kurogiku se rencontrent et échangent. Initiation d'un jeune par un aîné ? Pas du tout. Ils sont sur pied d'égalité. Chacun se raconte à l'autre. Chacun écoute l'autre. Et surtout, chacun apprend de l'autre et
lui apporte, en échange, quelque chose de fondamental.
Quelle intensité, donc, dans un ouvrage aussi court. Cent cinquante-huit pages seulement, dont la plupart ne contiennent que quelques lignes. Quatre parties. Chacune s'ouvre par un texte en italiques où on découvre le projet de l'Unesco pour sauver le patrimoine culturel immatériel de certains pays. Pour le Japon, ce sera le washi. Intrinsèquement, ce patrimoine ne « sert » à rien. Une belle leçon dans un monde où on ne vit que pour le profit, dans lequel une question revient, telle un vrai leitmotiv : « A quoi cela va-t-il me servir ? ».
Théophile Gautier ne disait-il pas : « il n'y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien » ? C'est donc d'abord la beauté pure que nous découvrirons dans ce roman.
En haut de chaque page, des kangis, ces caractères qui permettent de transcrire le japonais. L'auteur les explique. Ainsi, le mot « washi » est formé de deux kangis, « le premier (…) signifie paix, harmonie. (…) le second (…) signifie papier. »
Sur chaque page, beaucoup de blanc. Comme une respiration. Quelle différence avec ces livres dont les feuillets sont tellement remplis, mangeant même parfois les marges, que le lecteur se sent étouffer !
Beaucoup de phrases se répètent, comme une litanie, un mantra.
Silence et immobilité forment le coeur de l'oeuvre Quelle impression de bien-être que cette bulle de quiétude dans ce monde où l'on s'agite, où on court, où le bruit est omniprésent. A la place, réflexion, poésie, transmission, principes bouddhistes. Par exemple, Maître Kurogiku ne possède rien, n'est attaché à rien.
L'auteur accorde aussi une grand importance à l'art, long et difficile : ce
lui de la fabrication ancestrale du washi et ce
lui du pliage des origamis. Et aussi, ce
lui de la méditation.
C'est pourquoi, en refermant ce livre, on se sent bien, émerveillé, heureux. On a trouvé un refuge contre les horreurs, les cris, l'agitation, la productivité à tout prix du quotidien.
J'ai pensé à beaucoup d'autres lectures : «
La cérémonie des poupées » de
Chantal Deltenre, avec son jardin de minéraux, «
Nuage et eau » de
Daniel Charneux et ce moine, qui,
lui non plus, ne possède rien, «
Rosa candida » d'
Audur Ava Olafsdottir, dont le héros part en emportant seulement des boutures de la fragile rose à huit pétales que cultivait sa mère.
Ce roman de
Jean-Marc Ceci, je l'ai vraiment adoré et je le conseille à tous ceux qui aimeraient trouver calme, paix et sérénité.
Une première oeuvre, et quelle réussite !
Je suis donc très reconnaissante aux éditions Gallimard et à l'opération Masse critique de me l'avoir offert.