Je m'apprête à écrire un avis de lecture sur "Rosa Candida" de l'islandaise Audur Ava Olafsdottir. Pour cela, je m'assois à mon bureau, je fais un peu de place pour pouvoir ouvrir mon ordinateur. Papa dirait que le bureau est très mal rangé ; Maman n'aurait sûrement fait aucune remarque à ce sujet. Je pose mon portable sur le bureau et je l'allume. Pendant le démarrage, mon regard se porte vers la fenêtre. Dehors, il fait gris, cependant on perçoit un peu de soleil derrière un gros nuage, pareil à un énorme mouton mérinos. Voilà, l'écran s'allume, l'anti-virus me supplie comme chaque jour de télécharger sa mise à jour ; comme chaque jour, je clique sur non. Je me connecte à internet et j'attends que Babelio s'affiche. En attendant, je reporte mon regard vers dehors. A travers la vitre - qu'il faudrait que je nettoie - je n'aperçois plus le gros mouton mérinos ; à la place, il y a un timide rayon de soleil. Papa dirait qu'il va pleuvoir ce soir ; Maman n'aurait sans doute rien dit mais aurait sûrement souri. Je reviens à mes moutons et je clique sur le bouton qui permet d'ajouter une critique. Comme à chaque fois que je veux écrire une critique, je pense à tous les nouveaux usagers du site qui peuvent se tromper et cliquer sur le bouton pour ajouter une citation. Je ne vois pas bien mon écran à cause du soleil qui puise des forces dans la douceur du printemps. Alors, je change de position, je recule ma chaise pour limiter les reflets sur l'écran. Papa dirait qu'il vaut mieux tirer le rideau ; Maman aurait sans doute tiré le rideau. Je pose mes mains sur le clavier, prête à saisir mon avis. Ce faisant, je m'aperçois que mes mains sont très sèches et je me fais la réflexion que l'hiver n'a pourtant pas été bien rude cette année. Peut-être que la peau qui s'assèche est un signe visible et incontestable de vieillissement ? Pourtant je n'ai pas encore trente-cinq ans. Etrange, vraiment, j'y penserai plus tard. Le chat bondit soudain sur mes genoux. Il a de grands yeux verts et il se frotte contre mon ventre. Je le chasse après lui avoir caressé le crâne une seconde. J'essaie de me concentrer sur la critique à rédiger mais cette histoire de mains sèches me perturbe, je ne parviens pas à me concentrer. Je me lève et quitte le bureau. Je marche jusqu'à la salle de bains, empruntant le grand escalier. J'entends le chat grimper derrière moi. J'ai dans l'idée de me passer de la crème hydratante sur les mains, peut-être que j'en mettrai aussi un peu sur les poignets. Papa dirait que ça ne sert à rien, mieux vaut utiliser de l'huile végétale ; Maman aurait fait remarquer que le tube de crème est ouvert depuis trop longtemps, que peut-être la crème n'est plus si efficace. Dans la salle de bains, il y a une très faible lumière, le soleil a dû à nouveau se cacher derrière un nuage. Je me demande quelle forme il a, celui-là. Je fouille dans les placards, à la recherche de la crème pour les mains. Je mets plusieurs minutes à la trouver. le chat me regarde depuis le pas de la porte. Je remets la main sur le coupe-ongles que je croyais perdu depuis des lustres. Maman aurait eu raison, le tube de crème semble vraiment vieux ; Papa dirait que c'est parce que jusqu'à présent on utilisait plutôt de l'huile végétale, bien plus efficace. J'emporte quand même le tube jusqu'au bureau. Je me rassois devant mon ordinateur, qui s'est mis en veille. Il faut que je m'y mette, à écrire cette critique, sinon le soleil sera couché avant que je me souvienne du sujet du livre. Vu le nombre d'avis déjà déposés, je ne pense pas que ma contribution révolutionnera la blogosphère mais bon, ça me permettra toujours de garder un souvenir de ma lecture. Papa dirait que c'est important de se souvenir ; Maman aurait dit que les souvenirs ne servent qu'à rassurer l'avenir.
Eh, vous êtes toujours là ? Vous ne vous êtes pas écroulés, endormis, devant votre ordi ? Non ? Bon, alors voilà, si vous avez survécu à la lecture de cette critique, vous survivrez à la lecture de ce roman.
Un rythme que je qualifierais de lent ; une narration qui m'est souvent apparue comme une énumération de lieux communs (cf. les citations extraites) et de détails superflus mais qui, dans l'ensemble, réussit la prouesse de rester assez agréable à lire ; un ton doux comme du coton ou le précieux duvet des eiders islandais, mélodique comme une berceuse susurrée ou le vent balayant un champ de lave ; un chemin initiatique vers la paternité (et l'apprentissage culinaire) trop lisse pour être vraiment palpitant ; des personnages terriblement nordiques, c'est-à-dire calmes, fair-play, solitaires, introvertis, limite associables, pas très attachants ; une atmosphère étrange qui entraîne le lecteur dans des lieux quasi mystiques, pas tout à fait réels mais pas tout à fait fictifs non plus. Au final, un roman assez inclassable qui a pour lui de ne ressembler à aucun autre mais qui, à mes yeux, souffre d'être trop intimiste sans pour autant distiller de vraie poésie. Pourtant, on y parle de l'Islande, de fleurs, de sentiments, d'une maman, d'un bébé, de rencontres… mais non, pas de véritable alchimie en ce qui me concerne.
Sinon, pour savoir de quoi parle ce roman, vous pouvez vous référer aux 279 autres critiques publiées, sans doute bien plus instructives.
Challenge de lecture 2015 - Un livre qui se déroule à un endroit où vous avez toujours voulu aller
Challenge AUTOUR DU MONDE
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Quelle douceur que ce roman ! Il coule tout seul, à la fois tendre et triste, drôle et apaisant. Il m'a fait un bien fou. Arnljotur, ce personnage si jeune, si bringueballé par la vie avec sa mère chérie et décédée, son frère autiste qui s'en sort plutôt bien, son bébé "tombé du ciel" est tellement attachant. Il est si intiment lié à la terre via son amour des roses qu'il paraît fort et serein. Son père vieillissant qui se retrouve seul après le départ de son fils poursuit son bout de chemin, affrontant son deuil en annexant au fur et à mesure les recettes de cuisine de sa défunte épouse est lui aussi très émouvant. Et ce jardin de monastère oublié qui reprend vie peu à peu sous les doigts du jeune jardinier, je rêverais qu'il existe pour aller y passer l'après-midi...
Ajoutons à cela, la jolie relation qui se tisse entre le père et l'enfant et on n'a plus qu'attendre impatiemment d'autres romans d'Olafsdottir !
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Un livre quasi miraculeux sur l'amour paternel sous toutes ses coutures.
Lire la critique sur le site : LaPresse
1. ..Être un homme, c'est de pouvoir dire à une femme de ne pas se faire des soucis superflus. (p. 180)
2. ..Et puis ma fille a une autre facette, quand elle veut qu'on la laisse tranquille, qu'on lui fiche la paix, qu'on ne la dérange pas. Elle a alors une expression sérieuse et va jusqu'à froncer les sourcils. Elle se faufile parfois en rampant dans la chambre à coucher en essayant de fermer de fermer la porte derrière elle, ou alors, elle se trouve un recoin où elle pense que personne ne la voit. Je la suis des yeux de loin tout en lui fichant la paix par ailleurs. (p. 200)
3. .. Si l'on vivait une vie de seule raison, on raterait l'amour... (p. 251)
- Comment savoir si une femme vous aime ?
- Il est difficile d'être sûr de quoi que ce soit en amour, dit l'abbé en poussant la poupée vers l'enfant.
- Et si une femme dit qu'elle a peur que l'homme ne revienne pas quand il va faire une course ?
- Alors il se peut que ce soit elle qui ait envie de partir seule.
(...)
- Et quand une femme a l'esprit ailleurs, est-ce que cela veut dire qu'elle n'est pas amoureuse ?
- Cela peut vouloir dire ça, mais aussi qu'elle est amoureuse.
- Et si une femme dit à un homme qu'il ne doit pas tomber amoureux d'elle ?
- Cela peut vouloir dire qu'elle l'aime. Il me vient à l'esprit un vieux film italien que tu aurais peut-être plaisir à voir et qui traite du même problème. Le metteur en scène fait assurément fi des dialogues pour démêler les sentiments.
- Et si elle dit qu'elle n'est pas prête pour une union ? (...)
- Ça peut vouloir dire qu'elle est prête mais qu'elle ne sait pas si toi, tu l'es et qu'elle redoute que tu la rejettes.
- Et si elle dit qu'elle a envie de partir et qu'elle veut être seule ?
- Ça peut vouloir dire qu'elle veut que tu viennes avec elle.
Elle m’observe pourtant quelquefois quand je joue avec la petite, mais je ne suis pas sûr qu’elle me regarde autant que moi je la regarde. Elle est probablement en train de m’étudier sous l’angle de l’hérédité par rapport à sa fille. Mon soupçon se confirme lorsque je tourne le pain à l’envers sur la planche.
« Tu es gaucher ? » demande-t-elle en me regardant de ses yeux vert-bleu attentifs.
Du fait que nous vivons momentanément sous le même toit et que l’appartement est petit, nous sommes parfois obligés de nous faufiler pour passer l’un devant l’autre et il arrive que nous nous heurtions involontairement. Et puis je l’ai effleurée une ou deux fois exprès. Je pense toujours autant au corps, mais j’essaie de me limiter aux heures où Anna n’est pas là, comme lorsque je suis en train de travailler au jardin. J’ai tellement peur que mes pensées se voient sur mon visage. Anna est sûrement une de ces personnes sensibles qui voient les pensées sous forme d’images entourées de dentelle nuageuse, avant même qu’on les ait cogitées soi-même jusqu’au bout. Maman était comme ça, elle pouvait dire ce que j’étais en train de penser. Je ne demande pas mieux que d’avoir Anna comme amie mais le fait qu’elle soit une femme et que nous ayons un enfant ensemble complique incontestablement les choses. Quand nous sommes dans la même pièce, la mère de mon enfant et moi, je me surprends sans arrêt à perdre le fil de la conversation. Surtout quand elle vient de prendre sa douche, et qu’elle a les cheveux mouillés ou mis une barrette pour écarter sa frange du visage. Ce n’est pas avant d’être sous ma couette, en plein monologue de l’âme, alors que mère et fille sont endormies dans la pièce voisine, que je puis m’autoriser à penser au corps - à me rappeler une fois de plus que je suis vivant. J’avoue avoir envisagé la possibilité que quelque chose s’allume entre Anna et moi - je veux dire quelque chose d’autre qu’une nouvelle vie. Ce qui me sauve de l’impasse de pulsions charnelles, c’est la fenêtre ouverte de la cuisine. En droite ligne de mon oreiller, dans l’obscurité, se dresse le mur infranchissable du monastère et, derrière lui, du côté où la vigne sommeille, se trouvent mes parterres de roses que je dois absolument arroser demain. Je suis le seul homme à connaître l’existence d’une certaine variété de rose vivace, là-bas dans le noir, sous la lune jaune.
Je mets une pièce dans le tronc et allume un cierge. Sur la pancarte, il est dit que saint Joseph a été un époux fidèle, travailleur et pieux. il était père adoptif me dis-je, et il a endossé le rôle qui lui était destiné. Moi je ne suis pas un père adoptif comme Joseph; Ma fille a les mêmes lobes d'oreille que moi et un grain de beauté au même endroit de l'aine, elle est la chaire de ma chair si l'on peut s'exprimer ainsi théologiquement parlant. J'éprouve tout de même de l'empathie pour saint Joseph. Il a dû se sentir bien seul sous la couette.
Moi, je me sens tout drôle de me trouver sur le lieu même, si j’ose dire, de la procréation, en compagnie de mon vieux père et de mon demeuré de frère jumeau qui est là, juste derrière la vitre. Papa ne croit pas aux coïncidences, du moins pas quand il s’agit des événements primordiaux de l’existence, comme la naissance et la mort ; la vie ne s’allume pas, ni ne s’éteint comme ça, par hasard, dit-il. Il ne peut pas comprendre que la conception puisse résulter d’une rencontre fortuite, que l’occasion de coucher avec une femme puisse se présenter à l’improviste, pas plus qu’il ne peut comprendre que la mort puisse résulter d’une flaque d’eau ou de gravillons dans un virage, quand on peut se référer à autre chose : aux chiffres et aux calculs arithmétiques. Papa pense les choses autrement, le monde tient par des chiffres ; ils sont au cœur même de la création et on peut lire dans les dates une vérité profonde, y voir de la beauté. Ce que moi j’appelle hasard ou occasion, selon le cas, est pour papa un élément d’un système complexe. Trop de coïncidences, ça n’existe pas, une à la rigueur, mais pas trois ; pas de coïncidences en série, dit-il : l’anniversaire de maman, la date de naissance de sa petite-fille et le jour de la mort de maman, tout ça le même jour du calendrier, le sept août. Pour ma part, je ne comprends pas les calculs de papa ; d’après mon expérience, c’est justement quand on se met à escompter quelque chose de précis, que tout autre chose arrive. Je n’ai rien contre la marotte d’un électricien à la retraite à condition que ses calculs n’aient rien à voir avec ma négligence en matière de préservatifs.
« Tu n’es pas en train de filer à l’anglaise, mon petit Lobbi ?
— Non, je leur ai dit au revoir hier. » Je n’irai pas plus loin dans son sens et il change alors de conversation.
«Tu ne sais pas si ta mère avait par hasard une bonne recette de soupe au cacao ? J’ai acheté de la crème à fouetter.
— Non, mais on pourrait peut-être trouver ensemble comment faire. »
Auður Ava Ólafsdóttir nous parle de son roman Miss Islande