Citations sur Entretien dans la montagne (8)
Un soir que le soleil, pas lui seulement, avait sombré ... (p.9)
J'aimais la bougie qui brûlait, à gauche dans le coin, je l'aimais parce qu'elle se consumait, elle, car elle c'était sa bougie que lui, le père de nos mères, avait allumée, parce que ce soir-là un jour commença, précisément, un jour qui était le septième, le septième auquel le premier devait succéder, le septième, pas le dernier, ce n'est pas elle, cousin, que j'aimais, j'aimais la voir se consumer, et sais-tu, je n'ai plus rien aimé depuis;
rien, non; ou cela, peut-être, qui allait se consumant là comme une bougie en ce jour, le septième et non le dernier;
"Alors la pierre se tut, elle aussi, et le silence se fit dans la montagne, là où ils allaient, l'un et l'autre."
"So schwieg auch der Stein, und es war still im Gebirg, wo sie gingen, der und jener."
INCIPIT :
"Un soir, le soleil, et pas seulement lui, avait disparu, le Juif s'en alla, sortit de sa petite maison et s'en alla, lui le Juif et fils d'un Juif, et avec lui s'en alla son nom, l'imprononçable, il s'en alla et s'en vint, s'en vint, clopinant, se fit entendre, s'en vint bâton en main, s'en vint foulant la pierre, m'entends-tu, tu m'entends, c'est moi, moi, moi et celui que tu entends, que tu crois entendre, moi et l'autre [...]"
- Tu sais. Tu sais et tu vois : La terre s'est plissée, ici en haut, s'est plissée une fois, deux fois, trois fois, et s'est ouverte au milieu, et au milieu s'étend une eau, et l'eau est verte, et le vert est blanc, et le blanc vient de plus haut encore, vient des glaciers...
Un soir, le soleil, et pas seulement lui, avait disparu, le Juif s’en alla, sortit de sa petite maison et s’en alla, lui le Juif et fils d’un Juif, et avec lui s’en alla son nom, l’imprononçable, il s’en alla et s’en vint, s’en vint, clopinant, se fit entendre, s’en vint bâton en main, s’en vint foulant la pierre, m’entends-tu, tu m’entends, c’est moi, moi, moi et celui que tu entends, que tu crois entendre, moi et l’autre – donc il s’en alla, on pouvait l’entendre, s’en alla un soir, alors qu’un certain nombre de choses avaient disparu, s’en alla sous les nuages, s’en alla dans l’ombre, la sienne et l’étrangère – car le Juif, tu le sais, qu’a-t-il donc qui lui appartienne en propre, qui ne soit emprunté, prêté et jamais restitué – donc il s’en alla et s’en vint, s’en vint de par la route, la belle, l’incomparable, s’en alla comme Lenz, à travers la montagne, lui que l’on avait laissé habiter tout en bas, là où est sa place, dans les basses-terres, lui, le Juif, s’en vint et s’en vint. (trad. Stéphane Mosès)
Un soir que le soleil, pas lui seulement, avait sombré
J’étais couché sur la pierre, en ce temps-là, tu sais, sur les dalles de pierre ; et près de moi ils étaient couchés, les autres, ceux qui étaient comme moi, les autres, ceux qui étaient autres que moi et tout à fait pareils, les cousins et cousines ; et ils étaient couchés là et ils dormaient, dormaient et ne dormaient pas, et ils rêvaient et ils ne rêvaient pas, et ils ne m’aimaient pas et je ne les aimais pas, car j’étais unique, et comment aimer un être unique, et eux étaient nombreux, bien plus nombreux que ceux qui étaient là, couchés autour de moi, et comment pourrait-on les aimer tous, et, je ne te le cache pas, je ne les aimais pas, eux qui ne pouvaient pas m’aimer […]