AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Sachenka


La Kolyma est une région (dont le nom est tiré d'une rivière) de l'extrême est de la Russie. C'est un vaste territoire au climat subarctique, froid et inhospitalier. Au milieu du XXe siècle, pendant le règne de Staline, c'est là, dans des camps du Goulag, que furent envoyé des prisonniers politiques (victimes des purges soviétiques) et des criminels de toutes sortes. Apparemment, ceux de la Kolyma comptaient parmi les plus terribles. Varlam Chalamov y fut envoyé et il survécut dix-sept ans pour raconter son expérience. D'abord parues sous forme de nouvelles dans une revue, les différents récits de Chalamov furent réunis par la suite en un seul volume. Ces récits sont regroupés en six parties (recueils?) d'une centaine d'histoires. Chaque nouvelle constituant un chapitre, bien souvent de quelques pages, parfois une dizaine, rarement plus.

Chalamov y raconte le quotidien de ces victimes de la répression stalinienne. Outre le narrateur, l'auteur lui-même (bien que sous une autre identité), quelques personnages reviennent d'une histoire à l'autre. On découvre les raisons pour lesquelles ils ont été envoyé dans cet enfer, ceux qui ne survivront que quelques jours, d'autres, surprennemment, résistent. Les conditions de vie, les rations quotidiennes, les colis reçus de l'extérieur (et bien souvent saisis ou abîmés par les gardes), les échanges (tes cigarettes contre ta ration de pain), les vols, les disputes entre les prisonniers. On se rattache à tout pour passer à travers, les souvenirs, l'amitié, même celle d'un chien errant adopté par les prisonniers. Beaucoup sont des médecins, des ingénieurs, des intellectuels de toutes sortes et, pour ne rien oublier, ils se récitent les poèmes des grands écrivains (Blok, Pouchkine, Maïakovski, etc.) et se racontent même des nouvelles (La dame de Pique).

« La vie n'est qu'une attente de la mort par un travail au-dessus des forces humaines, par la faim, par un froid insoutenable, une peur qui dévore l'âme. le monde concentrationnaire est le reflet de la vie mais derrière les barbelés. Tout y est plus grossier, plus dur, plus franc, les relations des maîtres avec les esclaves, les relations entre les hommes… » (postface, p. 1490-1491)

Outre la prison, il y a aussi la Kolyma elle-même, presque un personnage à part entière. le froid, la taïga, les forêts où l'on va couper les mélèzes ou les pins nains sibériens, les gisements d'or à miner. le travail est ardu, brise les hommes, âmes et corps. Certains simulent la maladie pour s'épargner quelques corvées mais c'est un choix à double-tranchant : ceux qui feignent et qui sont démasqués risquent pires. D'autres sont tellement à bout qu'ils sont acculés au suicide. Au-delà des thèmes terribles, (mort inéluctable, humiliations et tourments, anéantissement de toute forme d'humanité), il y en a d'autres plus positifs, comme la solidarité et l'espoir. Eh oui, même si c'est difficile à croire, car, sinon, comment expliquer que certains y ait survécu si longtemps?

Aussi, les Récits de la Kolyma n'est pas qu'une succession d'horreurs. Même s'il constitue un témoignage très réaliste, la plume de Chalamov l'adoucit quelque peu. L'humanise? Dans tous les cas, elle la rend intéressante et agréable à lire. (Pour ceux qui ne sont pas trop sensibles.) C'est que les descriptions, même si elles sont réalistes, sont autant évocatrices. de plus, l'auteur nous réserve des surprises, parfois nous tient en haleine, à l'occasion nous sert de l'humour (bon, la plupart du temps, mélangé au cynisme et à l'ironie…) et même des moments poignants.

Passé la moitié de ce pavé de 1500, je croyais en avoir lu assez. Il n'y avait pas de redite à probablement parler mais je croyais avoir lu l'essentiel. Les conditions de vie, là-bas, sont terribles, j'ai compris. Ça peut s'arrêter là. Mais, finalement, non! Cet effroyable témoignage aurait pu être dix fois plus long! Comment se plaindre de quelques heures de lecture quand des individus ont vécu cet enfer des dizaines d'années? Chaque nouvelle, chaque passage représente une éternité, un épisode terrible (voire final) dans la vie d'êtres humains. Comment oser dire que c'est trop long?

« La Kolyma n'est pas un enfer. C'est une entreprise soviétique, une usine qui fournit au pays de l'or, du charbon, du plomb, de l'uranium, nourrissant la terre de cadavre. » (postface, p. 1484). Il faut se rappeler collectivement de cet enfer institutionnalisé même s'il s'est passé à une autre époque (pas si lointaine) et dans un régime étranger. Toute forme d'abus et de négation de l'être humain doivent être décriées et, souvent, la littérature est un moyen d'y parvenir.

À ceux qui sont intimidés par ce pavé, je suggère de commencer par Une journée d'Ivan Denissovitch, écrit par Alexandre Soljenitsyne.
Commenter  J’apprécie          470



Ont apprécié cette critique (43)voir plus




{* *}