Le Jour d'avant

Un an après son fils, mon père nous a quittés. Et ma mère m'a élevé avec ce qu'il lui restait de force. Sur le mur, il y avait trois portraits crêpés de noir. Celui de mon oncle, celui de mon frère, celui de mon père. Nous étions plus que deux á table, une minorité de vivants. Ce n'était plus une ferme mais un cimetières. Avec deux cadres vides qui attendaient notre heure. (Page 31)

Je lui ai tellement parlé des terrils, de la brique, de la mine, de mon frère. (...) J'ai encore tellement d'enfance en moi. tellement de peurs enfouies, tellement de chagrin. Tellement de choses à lui avouer. Je dis que ma force vient de ce sol. (...) Je veux lui offrir mon ciel d'enfance, ma pluie, mes pavés mouillés. (...) je veux qu'elle remonte les ruelles d'un coron.
Qu'elle referme mes blessures du bout des lèvres. (p. 320)

Le médecin a souri.
-Entendons-nous: c'est une personnalité problématique mais normale, au sens où l'examen du sujet ne révèle aucune anomalie.
- Aucune anomalie ? a interrogé le président
-Aucune, non. ni mentale ni psychique. (...)
-Mais enfin, construire sa vie sur une légende !
-Ce n'était pas une légende, mais une issue de secours, monsieur le Président.
- Que voulez-vous dire ?
- il a inscrit son drame personnel dans la mémoire collective. (p. 268)

- Ce héros du travail est mort de silicose le 4 novembre 1960. Mort de fidélité. Mort de loyauté. Est-il mort à la mine ? Mais oui, bien sûr ! Evidemment ! même s'il a fermé les yeux au fond de son lit, c'est au fond du trou qu'il a rendu l'âme. Ce n'est pas parce qu'un mineur remonte qu'il est encore vivant. (...)Sa famille le devinait. Et il est passé d'une fosse à l'autre, comme ça, dans l'indifférence générale. Pas un officiel devant sa pauvre tombe. Pas une écharpe tricolore. Pas un visiteur de Paris. Ni discours, ni promesse, ni fleurs de la Nation. Rien. La fin d'un homme n'est pas une catastrophe. (p. 312)

-Savez-vous en quoi consiste mon rôle de défenseur, Michel ?
(...)
-Mon rôle est de rendre audible et admissible le fait que l'on ne comprenne pas tout. (p. 305)

Cette victime n'était pas du bois dont on fait les réquisitoires. Elle ne geignait ni se plaignait, ni ne réclamait rien. (p. 289)

Je demande aux colombophiles d'ouvrir leurs pigeonniers. De libérer leurs oiseaux. De venger tous les mineurs du monde en s'emparant du ciel. (p. 324)

J'avais emprunté -Germinal- à la bibliothèque. Mon père m'en avait parlé, mon frère l'avait lu deux fois mais je ne l'avais jamais ouvert. (...)
J'avais mal. Chaque mot, chaque phrase me renvoyait au drame. Je pensais que Zola serait un secours, c'était ma mauvaise conscience. (...)
Il me traînait par le col au milieu des veuves et des orphelins. Et quand je levais les yeux de ma lecture, je me heurtais aux murs de ma cellule. Je n'allais pas suivre Etienne Lantier jusqu'au bout. (...)
De jour en jour et de page en page, ce livre était devenu un barreau de plus. (p. 223)

- Un mineur aujourd’hui, c’est un mécanicien, a répondu l’aîné.
- C’est Germinal robotisé, a rigolé son copain en nous ouvrant la porte.

Aude Boulfroy n'était pas en robe noire, comme devant les juges. Elle était venue me voir habillée comme une fille en printemps. (p. 211)