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Citations sur Le Petit Bonzi (57)

... il trouvait que l'asthme, c'était comme bégayer de l'air.
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- Le maitre, il doit faire attention aux plus petits. Pas les plus petits en taille, les plus petits en tout. Ceux qui regardent dehors pendant la classe, ceux qui sont seuls pendant la récréation, ceux que les autres embêtent, ceux qui ont des trous dans leurs chaussures; ceux qui ont un bleu sur la figure le matin, ceux qui n'ont pas mangé quand ils arrivent en classe, ceux qui n'ont pas de manteaux d'hiver.[...]
- Ceux-là, il faut encore plus leur montrer qu'on fait attention à eux. Il faut encore plus les regarder, encore plus les écouter, encore plus leur demander s'ils sont tristes.
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Couché sur le dos, son crayon à la main, le visage enfoui contre le sommier de pin, il note ses mensonges, il note ses peurs, il note ses terreurs, il note tout ce qui se saura parce que le temps sait tout. Des riens juste entre lui et lui, des épouvantes de pain d'épice, des griffures de linotte, des effrois de gamin de douze ans. Ce qu'il masque, grime, dissimule. Il note tout cela précisément. Il le note pour se souvenir, pour après, pour plus tard. Pour relire ses frayeurs de rien quand elles ne seront plus.
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Longtemps, Jacques Rougeron a cru qu'il était seul à tenir un cahier à mots. Il n'en avait jamais parlé, mais ne le cachait pas. Il ne l'emportait nulle part. Il le laissait dans sa chambre, ouvert sur son bureau aux derniers mots appris. Un jour d'été, blessé à la cuisse, il a cherché une planche anatomique dans le dictionnaire de maman Rougeron, dessiné le membre dans son cahier puis recopié le nom des nerfs, des veines, des muscles, de tout ce difficile à prononcer.
Iliaque, aponévrose, couturier, saphène, tenseur, crural.
Ensuite, il s'est levé et il a commencé à répéter chaque mot à voix haute sans entendre papa Rougeron qui entrait.
- Ccrru... ccrru... crrurr... crruuurral, disait Jacques en moulinant sa main.
- Tu révises quoi? lui a demandé papa Rougeron.
Il a sursauté. Il a laissé tomber son cahier. Il l'a ramassé. Il l'a posé sur son bureau en disant qu'il révisait la cuisse.
- La cuisse?
Il a dit oui, la cuisse. Et il a expliqué qu'il notait tous les mots difficiles.
Papa Rougeron a regardé son fils. Il a souri. Il est sorti sans parler. Il est allé dans sa chambre. Il est revenu avec un grand cahier de cuir rouge, fermé par deux lanières effrangées. Il s'est assis sur le lit de Jacques. Jacques s'est assis à son côté. Papa Rougeron avait un cahier à mots. Pas un cahier de bègue, un cahier d'ouvrier. Un cahier pour ceux qui n'ont pas été à l'école. Un cahier de pauvre. Un cahier pour apprendre. Un cahier pour savoir ce que les autres savent.
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Maintenant, Jacques pleure vraiment. Il laisse aller, il morve, il sanglote. Il est retourné sous son lit à secrets. Il est dans sa nuit, il est dans son lit, il est sous les poings frappés de son père. Il est triste. Cette fois, il est triste de lui.
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C'est en mars 1964 que Jacques a mangé de l'herbe pour la première fois. Il en avait mangé avant, bien avant, beaucoup et des jours durant, mais la première fois qu'il a mangé de l'herbe et qu'il a guéri c'est en mars 1964, c'était le soir et il avait plu.
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C’est le monsieur papa. C’est papa Rougeron qui rit. Papa Rougeron qui caresse des yeux en lui touchant le nez. C’est papa Rougeron quand il fait beau dehors et quand maman Rougeron rit aussi C’est le pur, pur, pur bonheur. C’est quand les mots de Jacques arrivent presque à frayer leur chemin. C’est quand il est fier de sa petite phrase. C’est quand tout repose. C’est un dimanche au bord du lac, avec des cannes à pêche en branche de frêne. C’est le temps des grillons. C’est quand il faut fermer très fort les yeux pour retenir la vie. C’est la paix dans les bouches, la paix dans les ventres. Ce sont les poings devenus mains tendues, c’est la ceinture retournée à ses passants, c’est le silence de consolation. C’est de temps en temps. C’est de moins en moins. C’est rare.
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Jacques a toujours cette peur. Il a peur de rentrer. Peur de la nuit qui vient. Peur de la maison. Peur de demain surtout. Il se dit que demain est trop près d'aujourd'hui et que les demains, tout peut arriver.
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Le Caveau des Célestins, c'était le café du Caveau.

- Premier grand théâtre de marionnettes permanent, ouvert quai des Célestins en 1826 par Laurent Mourguet, créateur de Guignol.
Manu parle. Il raconte le caveau. Jacques écrit. Il note chacun des mots. Il note chacune des dates. Il note la bière sur les tables, la fumée des pipes, le rire des hommes. Il note que les spectateurs étaient des ouvriers, des plâtriers, des artisans, des saisonniers, des canuts, des mariniers, des crocheteurs du pont d'Ainay, de simples gens, des illettrés, des pauvres. Manu dit que la police de Napoléon III se méfiait de cette assemblée tapageuse. Qu'elle y envoyait des mouchards. Que chaque coup de bâton de Guignol sur Gendarme était soigneusement rapporté à l'autorité impériale. Que chaque saynette était visée par la préfecture avant d'être jouée. Que chaque manuscrit était lu acte après acte, corrigé s'il le fallait, approuvé et signé puis tamponné de gras.

Guignol provenant du Caveau des Célestins.
Marionnette à gaine.
Lyon, vers 1850.

Jacques Rougeron avait eu le vertige. En une heure, en un rien, en un tout petit morceau de matin, il avait la réponse à trois de ses questions, brusquement.
Maintenant, il savait pour le Caveau des Célestins. Mais aussi, il savait pour Lyon, vers 1850. Il entendait le cri des bateleurs, les bruits de la rue, il sentait la bière, la pipe, il entendait le rire des hommes, il avait croisé des soyeux misérables, des comploteurs de taverne, des gens sans mots à dire. Il avait vu la police en manteaux raides rôder entre les tables du caveau. Il avait vu le sous-préfet tousser les brumes de Saône, par la fenêtre de son bureau d'hiver, en crissant de la plume, signant de son nom au bas du mot RIDEAU.

Il ne restait plus que Marionnette à gaine. Mais là, c'était facile. Un mot comme il les aime.
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Il les regarde aussi. Papa, maman. Ils sont tout ce qu’il a. Il n’y a personne en plus. Il a peur, tout vide. Il se sent tout seul pour trois.
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