Certains choix sont sans retour. Après eux, il n'y en aura pas d'autres, car ils tracent un chemin où ne se dessinera plus la moindre bifurcation. Il y a un avant, il y a un après, et tout pas de côté devient subitement impossible tant la voie est étroite. A partir de là il faut tenir, serrer les dents et avancer quoiqu'il arrive.
« Quand j’ai commencé à mentir à tout le monde, j’ai compris que je m’étais engagé dans un processus irréversible. Gagner du temps, retarder la chute, éviter de regarder trop loin devant. »
« Elle devient folle à force de se demander où il est, ce qu’il fait, quand il rentrera. Elle lui en veut parce qu’il lui inflige tout ça, elle s’en veut de le tolérer. »
" La femme qui attend au bar de l’hôtel semble contrariée. Elle tourne machinalement une petite cuillère en inox dans un café macchiato où le sucre a fondu depuis longtemps. Le bruit régulier que fait le métal en heurtant les parois de la tasse semble agacer les autres clients, elle ne s’en rend pas compte. Lorsque l’homme entre, elle lève la tête et affiche un sourire contraint... Elle avait accepté sans difficulté de lui prêter trente mille euros pour qu’il monte une affaire qui lui semblait viable... "
Je marchais un peu, je lisais des poèmes assis dans la voiture ou je dormais sur le siège arrière. J'essayais d'éviter la lecture de Dante : ce n'était pas le moment de repenser au passé. S'il pleuvait ou s'il faisait trop froid, j'allais à la bibliothèque municipale. Chez moi, on se rendait compte de rien. Je me suis longtemps dit que, c'était sûr, le lendemain j'aurai retrouvé le tonus. Le tonus n'est jamais revenu.
Parfois elle ne supporte plus d'être étendue toute seule dans le noir, attendant un sommeil qui tarde à venir malgré les pilules. Elle se demande ce qu'il fait, elle n'entend pas le moindre bruit dans la maison, elle lui envoie un message : Tu fais quoi ? La réponse est brève, elle aussi : Je dors.
J'emportais le minimum, j'y avais déjà réfléchi : quelques vêtements de rechange et deux ou trois recueils de poésie. A la différence d'un roman, sans intérêt quand on en connaît déjà la fin, les poèmes peuvent se relire sans lassitude des centaines de fois. Je n'avais pas mis longtemps à me décider : Dante, pour Ornella, et Les Fleurs du mal, dont le titre sulfureux m'avait toujours ravi.
Et voilà qu'un jour il refait surface, qu'il lui écrit en renouvelant des déclarations d'amour puériles. Il termine sa lettre en lui disant qu'il est à même de lui rembourser ce qu'il lui doit, à moins qu'elle ne l'autorise à le réinvestir dans un nouveau projet, très excitant. Elle accepte un dernier rendez-vous, uniquement pour qu'il lui remette un chèque certifié couvrant au moins la moitié de sa dette.
Je sens que je l'exaspère quoique je fasse, qu'il voudrait que je sois différente, que je sois quelqu'un d'autre. Elle vit avec cette obsession, ce sentiment confus : il aimerait qu'elle soit une autre. Une sensation terrible, elle ne parvient pas à s'y habituer.
Voilà. Il avait fondé une famille, il était devenu quelqu’un de responsable. Ne manquaient plus que des revenus professionnels réguliers et la plupart de ses objectifs seraient atteints.