Ça rabote.
Ça mine, ça ronge, ça use.
Les mots rabotent, rongent. Ils ont ce pouvoir. Ils tarabustent sous la surface des choses, ils vous transforment en l’ombre de vous-même. Ou parfois en quelqu’un d’autre.
Caressants à l’inverse, ils font briller l’argenterie de votre ego. Ils endorment, rassurent, consolent. C’est selon. Le problème, c’est que l’on ne choisit pas. Les autres disent bien ce qu’ils veulent. Et après c’est trop tard : les mots sont prononcés. Tu connais ça par cœur, depuis le temps.
Tu l’as rencontré chez des amis musiciens. Des soirées où l’on buvait pas mal, quoique de manière élégante. C’est lui que tu as vu en premier, en pénétrant timidement dans le salon : tu ne sais jamais comment arriver, ni comment partir d’ailleurs. Il fumait, observant les autres avec une moue nonchalante. Il dominait le groupe par sa stature, Il intriguait par son silence, Il irradiait. Une prestance lumineuse, une classe folle, et toi, aveuglée dès la première seconde. Les autres femmes le regardaient de biais.
À un moment ou un autre de la soirée, la plupart d’entre elles étaient venues bourdonner autour de lui, un verre à la main. Il semblait trouver ça tout à fait naturel : Il régnait. Toi, tu l’observais depuis la cuisine, incapable de te joindre au groupe excité qui l’entourait. C’est pourtant vers toi qu’il s’était dirigé ensuite, te demandant pourquoi tu restais seule, debout devant l‘évier. Tu n’en revenais pas. Surtout ne pas lui déplaire, avais-tu pensé brièvement. À cet instant-là, tu ne savais même pas qui Il était, sinon tu aurais perdu tout courage. Vous avez quitté la soirée ensemble et Il t’a raccompagnée dans une invraisemblable voiture couleur sang qui vrombissait comme un avion. Fin de la scène 1 : les anges et le paradis, les trompettes, le nectar, les dorures.
« Ça rabote.
Ça mine, ça ronge.
Ça use.
Les mots rabotent, rongent. Ils ont ce pouvoir .
Ils tarabustent sous la surface des choses .Ils vous transforment en l’ombre de vous - même .Ou parfois en quelqu’un d’autre » ….
Il avait tout de suite vu tes failles, dès le premier soir, dès la première minute peut-être, pendant que tu le regardais, en adoration déjà. Il s'y était engouffré.
Tu le comprends enfin.
« Chaque jour est un exercice de renoncement.
Renoncement aux choses, aux gens.
À toi-même. »
« Tu peines à trouver comment te situer, de quelle façon, à quelle distance.
Tu remâches de vieilles humiliations.
Tu vomis de la colère.
Masi c’est peut-être de ta faute, depuis le début. »