Le désordre et la vie

Les foules arabes ne sont pas descendues dans la rue pendant les huit années de guerre entre l'Iran et l'Irak. C'était une affaire de musulmans, un affrontement fratricide. Aujourd'hui, avec l'Occident qui s'en mêle, l'humiliation est revenue et au seul bruit de ce mot partout on manifeste. Le monde pourrait en être bouleversé, l'après-guerre sera une longue patience...

2991 – [Le Livre de poche n° 9669, p. 510] septembre/décembre 1990

En 1803, la reine Hortense allait incognito jusqu'à la grange cautérésienne [de Cauterets] qui porte depuis son nom. Un orage éclata qui dura la nuit, violent, mais elle avait un toit, un feu, une compagnie ; on ne la revit qu'au petit matin ensoleillé du jour suivant. Un fils lui vint neuf mois plus tard précisément. Et depuis on s'épuise à croire que Napoléon III serait le fils d'un berger de la vallée, je devrais même dire qu'on en est sûr. L'un de mes plus vieux amis, Jean Longé, a longtemps raconté qu'il avait quelque chose à voir avec l'empire. La grange était alors de sa famille. J'ai parfois pensé que cela pouvait être vrai.

2956 – [Le Livre de poche n° 9669, p. 351] juillet 1989

L'immortalité est d'abord faite de bonheurs quotidiens. On connaît maintenant les goûts et les appétits culturels des académiciens français. Selon « Le Point » ils lisent les Évangiles, Chateaubriand, Proust, Stendhal, Hemingway, ils aiment Rembrandt, Goya, Picasso, ils écoutent Mozart, Beethoven, Bach, et leur film préféré est « La Grande Illusion ». Détail d'importance : 2 % d'entre eux fredonnent « Viens poupoule » quand ils sont de bonne humeur.

2954 – [Le Livre de poche n° 9669, p. 326] mai 1989

Albert Cohen - … le chichi affreux qu'on a fait pour André Gide, qui est un écrivain mineur, je n'ai jamais pu le comprendre. Que cet homme soit considéré comme une espèce de roi dans la littérature française, c'est lamentable ! C'est un pauvre petit écrivain plein de lui ! Entre autres parce qu’il était riche, qu'il pouvait faire ce qu'il voulait...

2939 – [Le Livre de poche n° 9669, p. 244] décembre 1988

Sur l'aéroport de Moscou, à l'instant du départ, j'observe de plus près le nez du Tupolev qui nous porte à Paris. Ce qu'un ami m'avait dit est facilement vérifiable : il y a là deux petits trous et une paroi transparente. Dans les petits trous, on peut glisser des canons de mitrailleuse et installer juste derrière l'homme qui les manœuvrera. Ces avions de tourisme sont donc appelés à devenir en peu de temps des machines de guerre. Il fait subitement encore plus froid.

2933 – [Le Livre de poche n° 9669, p. 230]

Mérab Mamardachvili - C'est grâce à ma rencontre avec la littérature et la pensée philosophique française, très présentes dans le monde, que tout a commencé pour moi. Vers l'âge de quinze ou seize ans. J'étais en quête d'une certaine forme de spiritualité, d'une étincelle. Et c'est en Montaigne, Rousseau, Stendhal, que j'ai reconnu mes guides. Je les lisais en russe. Plus tard, l'envie m'a pris d'apprendre le français. Alors, je m'y suis mis, par amour, j'ai lu, relu, puis martyrisé, sûrement mes amis français pour corriger ma prononciation. Descartes, c'est donc ma dette d’amour envers la France et ses philosophes. Et à propos d'amour, il y a justement, dans ses carnets, cette formule très heureuse qui ne m'a jamais quitté : « Carol amorem luminum connucionem... » « La chaleur de l'amour est la lumière de la connaissance. »

2931 – [Le Livre de poche n° 9669, p. 229] décembre 1988

Les critiques que l'on nous adresse ne sont rien à côté de celles que nous nous faisons. C'est que nous créons dans le doute et qu'ils écrivent en toute certitude.

2924 – [Le Livre de poche n° 9669, p. 78] mars 1988

… phrase de Confucius répondant à l'inquiétude de l'un de ses disciples :
Maître, quand tout va mal dans un Etat, quelle est la première chose à faire ?
Rendre aux mots leurs sens propre. »

2922 – [Le Livre de poche n° 9669, p. 53] févier 1988

Qu'est-ce qu'un traitre ? Quelqu'un qui, de façon trop courtoise, vous fait quotidiennement la cour et que 'on s'obstine à ne pas écouter, les yeux ouverts.

2994 – [Le Livre de poche n° 9669, p. 517] 1991

Michel Serre, philosophe, humaniste, a soudain tiré l'épée et la télévision était déjà touchée au commencement de l'envoi : « Charniers, accidents, pogroms, assassinats, voilà le menu le plus souvent proposé par le journal de midi et du soir. L'analyse de contenu accable : la mort, individuelle ou collective, le plus souvent violente, arrive largement première de toutes les annonces. Lesdites nouvelles ne nous disent que la répétition monotone des plus vielles atrocités de l'histoire. La caméra-voutour, la caméra-chacal mange du cadavre en abondance, seul, en masse ou aligné, pendant le déjeuner, puis le dîner, avant de lancer la chasse à l'homme, au policier du soir. Il ne s'agit jamais que du sang versé. »

2964 – [Le Livre de poche n° 9669, p. 426] janvier 1990