La justice a tranché : assignée à résidence, Ruth est potentiellement coupable mais de quoi ? D'avoir participé directement à ce meurtre mystérieux dont on prend réellement conscience à la moitié du livre ? D'y avoir concouru par la déliquescence de son mariage, pour avoir fermé les yeux sur le passé de son mari, pour s'être soumise à l'emprise progressive de Soeur Amélia et s'être abandonnée à un délire hallucinatoire ?
Les questions s'enchaînent, les hypothèses bondissent au fur et à mesure que Ruth la narratrice, dépassée par le constat factuel de ce qu'elle a vécu, tente de reconstituer son histoire alors que l'auteure apporte des réponses au compte-gouttes.
Il faut dire que l'histoire est complexe. On suit l'itinéraire d'un couple, d'une famille, d'êtres qui se révèlent plein de failles lorsque leur ferme
La Source avec sa végétation luxuriante prend des airs d'oasis alors que le Royaume-Uni est frappé par une terrible sècheresse digne d'une des sept plaies d'Egypte. Il y a certes l'intérêt des media, du gouvernement, des scientifiques, des mystiques, la rancoeur et la haine des voisins.
Mais l'auteure anglaise aime jouer du mystère en explorant avec subtilité les zones d'ombre de personnages prisonniers de cloisons qui se superposent à celles que l'on subit sous la pression des évènements que sont parfois les relations difficiles entre les membres d'une même famille. Cela donne des personnages isolés, repliés sur eux-mêmes dans cette oasis à la beauté inquiétante. Car plus qu'un décor,
Catherine Chanter a fait de la Source une présence magique voire vénéneuse au point de se demander si ce n'est pas l'isolement au sein de cette ferme miraculeuse qui conduit ses occupants, et en particulier Ruth, à se retrancher dans leur univers intérieur et les mène à la folie…
Mêlant les genres, du drame familial à la fable écolo saupoudrée de surnaturel, en passant par le thriller,
Catherine Chanter se complait à égarer le lecteur. le suspense n'est pas celui traditionnel qu'engendre une mort violente ou un phénomène inexpliqué. Il nait de la lente reconstitution de tout un puzzle avec une narration en pointillés, un peu flottante, un peu nébuleuse, l'auteure façonnant lentement ses personnages, comme si elle refusait de les trahir. Il faut alors accepter de se laisser porter par un récit spéculatif avant de voir se dissiper progressivement mais pas totalement le brouillard suspendu au-dessus de la Source et obtenir la vérité. Presque anecdotique. Et là on se dit que la construction est terrifiante… ou magistrale.
Personnellement, j'ai été sous le charme de ce huis clos inquiet et moite, sublimé par une nature triomphale et qui cache le combat d'une femme pour retrouver son équilibre, donnant lieu à un récit tout ensemble poétique et réaliste, onirique et tragique.
Catherine Chanter m'a conquise avec ce premier roman prometteur, même s'il est un peu dérangeant parce qu'il est susceptible de provoquer plus de questions que de réponses chez le lecteur scrupuleux.