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Citations sur Libres d'obéir : Le management, du nazisme à aujourd'hui (63)

Être rentable / performant / productif (leistungsfähig) et s’affirmer (sich durchsetzen) dans un univers concurrentiel (Wettbewerb) pour triompher (siegen) dans le combat pour la vie (Lebenskampf) : ces vocables typiques de la pensée nazie furent les siens après 1945, comme ils sont trop souvent les nôtres aujourd’hui. Les nazis ne les ont pas inventés – ils sont hérités du darwinisme social militaire, économique et eugéniste de l’Occident des années 1850-1930 – mais ils les ont incarnés et illustrés d’une manière qui devrait nous conduire à réfléchir sur ce que nous sommes, pensons et faisons.
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Des penseurs politiques, sensibles à cette évolution économique, ont répondu très tôt que le salut résidait dans le refus – refus de la hiérarchie, de l'autorité, refus de la contrainte et de la subordination – en somme l'anarchie, au sens le plus strict du terme (le refus du pouvoir de contrainte).
Leur réponse inaugurait une nouvelle société politique, sans sociétés économiques, sans, ou alors de taille très réduite. L'idéal, comme chez Rousseau déjà, se révélait être le travailleur indépendant – l'horloger ou le lapidaire jurassien, le producteur libre ou l'artiste, chantés par Proudhon, et chers à son compatriote Courbet, qui partageait ses idées.
Ces auteurs et ces idées n'ont cessé d'inspirer des pratiques alternatives, des coopératives égalitaires aux reconversions néorurales, en passant par les retrouvailles de cadres lassés par leur aliénation avec une activité artisanale enfin indépendante. Une Arcadie "an-archique", délivrée de la subordination et du management, qui n'est pas un paradis pour autant. La réalité du travail, de l'effort à fournir, d'une certaine anxiété face au résultat, demeure, mais sans l'aliénation. « Qu'il est doux de travailler pour soi », entend-on chez ceux qui sont heureux de réhabiliter une maison et d'en faire revivre le potager.
Solipsisme naïf et irresponsable ?
Peut-être pas, comme le montre le succès de l'économie sociale et solidaire - et le partage des légumes dudit potager : on peut travailler pour soi et être utile aux autres. On se situe ici aux antipodes des structures, des idéaux et du monde de Reinhard Höhn, auquel on peut préférer Hegel : le travail humain, c'est le travail non aliéné, qui permet a l'esprit de se réaliser et de se connaître par la production d'une chose (res) qui l'exprime et qui lui ressemble - pâtisserie ou bouture, livre ou objet manufacturé - et non cette activité qui réifie l'individu, le transforme en objet – « ressource humaine », « facteur travail », « masse salariale » voué au benchmarking, a l'entretien d'évaluation et à l'inévitable réunion Powerpoint.
Discipliner les femmes et les hommes en les considérant comme de simples facteurs de production et dévaster la Terre, conçue comme un simple objet, vont de pair. En poussant la destruction de la nature et l'exploitation de la « force vitale » jusqu'à des niveaux inédits, les nazis apparaissent comme l'image déformée et révélatrice d'une modernité devenue folle – servie par des illusions (la « victoire finale » ou la « reprise de la croissance ») et par des mensonges (« liberté », « autonomie ») dont des penseurs du management comme Reinhard Höhn ont été les habiles artisans.
Son destin personnel montre toutefois que ces idées n'ont qu'un temps et que leurs auteurs ont leur époque. Hõhn a pâti des révélations sur son passé et des critiques adressées à son modèle managérial - critiques internes, fourbies par d'autres modèles. Les temps peuvent également changer sous l'effet de circonstances plus générales et plus pressantes : notre regard sur nous-mêmes, sur autrui et sur le monde, pétri de « gestion », de « lutte » et de « management » par quelques décennies d'économie hautement productiviste et de divertissements bien orientés (de « l'industrie Walt Disney », du « maillon faible », aux jeux concurrentiels de télé-réalité) changera peut-être en raison du caractère parfaitement irréaliste de notre organisation économique et de nos « valeurs ».
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La conversion de l'ancien SS aux principes d'individualisme et d'autonomie n'était cependant qu'apparente : entre ce que Höhn prône et écrit dans les années 1933-1945 et ce qu’il enseigne à partir de 1956, il n'y a aucune solution de continuité, mais bien une impressionnante suite dans les idées.
Pendant les douze ans de la domination nazie en Allemagne, un régime hostile à la liberté a prétendu être, par la voix de ses juristes et théoriciens, la réalisation de la liberté « germanique ». Un de ses intellectuels est devenu, après 1945, le penseur d'un management non autoritaire - paradoxe apparent pour un ancien SS, mais apparent seulement, pour celui qui voulait rompre avec l'État absolutiste, voire avec l'État tout court, et faire advenir la liberté d'initiative de l'agent et des agences.
Cette liberté était cependant une injonction contradictoire : dans le management imaginé par Höhn, on est libre d'obéir, libre de réaliser les objectifs imposés par la Führung. La seule liberté résidait dans le choix des moyens, jamais dans celui des fins. Höhn est en effet tout sauf un libertaire ou un anarchiste : les milliers d'entreprises (2 440 de 1956 à 1969) qui lui envoient leurs cadres en sont pleinement conscientes.
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Dans l’âge des masses démocratiques, chacun veut être considéré pour ce qu’il est, non pas un « subordonné », mais un « collaborateur », « une personne qui pense et qui agit de manière autonome »
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Dans ses responsabilités et en raison de ses hautes fonctions, Herbert Backe s'est intéressé à l'organisation du travail, à la direction des hommes, à ce que nous appelons le "management". Il n'est pas le seul, loin de là. Certains nazis en ont même fait, comme nous le verrons, une carrière et une œuvre après la guerre. Il n'y a à cela rien d'étonnant. L'Allemagne était le lieu d'une économie complexe et développée, avec une industrie puissante et abondance, où les ingénieurs-conseils, comme en France, aux États-Unis, au Royaume-Uni et ailleurs en Europe, réfléchissaient à l'organisation optimale de la force de travail. Le management a une histoire qui commence bien avant le nazisme, mais cette histoire s'est poursuivie et la réflexion s'est enrichie durant les douze ans du IIIe Reich, moment managérial, mais aussi matrice de la théorie et de la pratique du management pour l'après-guerre.
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C'est plutôt aujourd'hui que se pose cette question : comment une société politique libérale, unique et inédite dans l'histoire humaine, peut-elle tolérer dans le domaine économique des pratiques si manifestement antagoniques à ses principes les plus fondamentaux ?
Le "management par la terreur" et l'aliénation quasi absolue d'individus réduits à un simple "facteur travail", à une pure "ressource humaine" ou autre "capital productif", ont été acclimatés dans nos sociétés, au motif, ou au prétexte, de la mondialisation et de sa réalité concurrentielle.

(page 124)
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Alors que le IIIe Reich se donnait les apparences de l’ordre le plus strict qui fût, son fonctionnement évoquait plus un système instable et chaotique que les chorégraphies impeccables des défilés.
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Backe était convaincu que la vie était une lutte où ne s’imposent que les volontaires et les performants, un jeu à somme nulle où les « perdants » payent le prix fort de leur infériorité et de leurs défaillances. Il était, comme tous ses collègues de travail et ses camarades de parti, un darwiniste social qui pense le monde comme une arène
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[L]'officier de terrain, comme le cadre, ne participe en rien à la définition de l'objectif, car celui-ci lui est assigné dans les limites d'une « tâche » à remplir. Il ne lui appartient pas de décider qu'il faut prendre telle colline ou atteindre tel point, ou de répudier cet objectif comme parfaitement absurde. Son unique liberté est de trouver, par lui-même, de manière autonome, la façon de la prendre ou de l'atteindre. Il est donc libre d'obéir.
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Le syndicat unique, organisation corporatiste, met ainsi fin à la lutte des classes et aux stériles oppositions entre patronat et employés ou ouvriers. Sa division chargée des loisirs, la KdF, a pour mission de rendre le lieu de travail beau et heureux, et de permettre la reconstitution de la force productive des ouvriers. C'est ainsi la KdF qui organise des concerts de musique classique dans les ateliers des usines, complaisamment couverts par les actualités cinématographiques du Reich lorsqu'une sommité du monde artistique comme Herbert von Karajan, est à la baguette. Un département de l'organisation KdF, l'Amt Schönheit der Arbeit (Beauté du travail), est chargé de la réflexion portant sur la décoration, l'ergonomie, la sécurité au travail et les loisirs sur le lieu de production. Étonnante modernité nazie : l'heure n'est pas encore aux baby-foot, aux cours de yoga ni aux chief happiness officers, mais le principe et l'esprit sont bien les mêmes. Le bien-être, sinon la joie, étant des facteurs de performance et des conditions d'une productivité optimale, il est indispensable d'y veiller.
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