C'est une forêt de pins, pleine d'aromes; les branchages un peu convulsés sous une aigrette font une voûte ajourée et l'on voit au travers, dans les beaux jours, les nuages pareils à des amas de neige glisser sur un ciel d'azur frais; il y a des éclats dorés comme des taches de miel dans les sous-bois et ses feuillages légers, acacias, genêts qui recouvrent les dunes durcies sous les aiguilles de pin.
Quelques paysages, le ciel dans la fenêtre, du silence, des amis, un amour m'ont suffi, avec le privilège de le dire. Ma vie fut remplie par elle-même, sans grand tourbillon de savoir ou d'inquiétude sur les fins de toutes choses.
J'ai cherché le plus étroit, la plénitude dans le moindre. Avancé en âge, je ne sens pas la mort plus proche et elle me laisse en paix; mais je dirais plus facilement : cela suffit maintenant; pourtant je ne voudrais pas mourir sans regretter la vie.
Dans toute attitude devant la vie, le siècle a sa part; on est porté au repliement quand la planète semble retourner à l'état de nébuleuse.
Je n'y retournerai plus. Je ne désire pas revoir des paysages connus, de vieilles figures, et même je veux oublier ce qui déjà m'abandonne, hâter le dépérissement autour de moi, déchirer la page que je ne relirai pas, briser la branche à demi-morte, déblayer un espace qui se dépouille, non pour me déployer dans un désert, mais afin de me resserrer et de mieux adhérer au plus vivace, choix suprême; fait de quoi ?
Pourtant, à Crans, une nouvelle m’attriste. La Suisse s’est préservée de la guerre ; elle s’est conservée quand les autres nations se détruisaient elles-mêmes et en cherchaient d’autres pour en finir plus vite. Cela m’a fait de la peine d’apprendre que l’on veut construire des autoroutes dans ce pays du recueillement et de la sagesse. Le paysage du village de Chardonne sera rayé par ce trait infernal ; les vignes déracinées et les beaux vignerons. Quand on pourra traverser la Suisse en trois heures, il n’y aura plus de Suisse. Un jour, les hommes auront de grands moyens mais n’auront plus de but. Le vide est au bout de toutes ces routes de vitesse.
Les idées sont une servitude.
En groupe, les gens perdent leur esprit.
Les bonnes choses de la vie, on les trouve sur ses bords.
La mort disparaît lorsque la vie s’éteint.
L’art est la revanche de l’imperceptible.
Le monde échappe à un cerveau raisonnable ; il ne permet que des religions.