C'est presque avec plaisir que je me permets d'écrire (moi qui considère Chardonne peut-être comme le plus grand écrivain français) que ce livre n'a pas grand intérêt, parce qu'il n'y a pas à encenser les auteurs, encore moins (comme on le fait pour les auteurs dits classiques, consacrés par la notoriété), à les « panthéoniser » comme on le fait si sottement. Contrairement à ce qu'on prétend, ce n'est pas tant l'auteur qui importe que le lecteur, car c'est bien chez le lecteur que le livre est censé trouver résonance, et que c'est par cette dernière que celui-ci va consacrer le livre en disant qu'il est formidable, bien, médiocre ou moyen.
Dans le cas de « Madère », on peut dire aussi que l'exception vient confirmer la règle : dans cet ouvrage Chardonne n'a (vraiment) rien à dire, ce qu'il écrit c'est vrai fort bien ; mais ce n'est pas suffisant, ce récit proprement vide ne conduisant qu'à de l'insignifiance bien formulée.
Comment peut-on passer de tels chefs d'oeuvre
romanesques comme « L'Épithalame », «
Le chant du bienheureux », « Éva », «
Claire », «
Les Destinées sentimentales » à pareille billevesée ? En fait, c'est le roman de trop. Déjà, en 1936, plus de quinze ans avant, il avait publié «
Romanesques » qui était déjà à la limite du genre, l'auteur délaissant finalement après le roman pour ne plus publier que des ouvrages de réflexion générale. Alors oui c'est le roman de trop. Mais ce n'est pas grave, tout le monde a le droit de se tromper. Toujours est-il que l'avertissement qu'il avait formulé dans Éva pourrait lui être ici cruellement appliqué : « Ce qui est difficile, ce n'est pas d'atteindre le but, mais de ne pas le dépasser ».