Zoé releva le nez de sa tablette et avisa le jardin à travers la véranda. Les herbes vibraient dans le vent, et les buissons se courbaient. Oui, ça avait commencé. Même l’eau de l’étang dessinait des plis rapides sous la pression des rafales. Le plafond de nuages gris était bas, il étouffait le soleil, comme si la nuit était sur le point de tomber. Combien de temps venait-elle de passer absorbée par son écran pour ne même pas voir le changement de météo ? Ce truc la transformait en zombie.
Le portable de Zoé vibra en même temps. Le SMS d’urgence.
Ce n’était pas une fausse alerte.
Le bandeau était clair.
« Alerte. Grade 4. Rejoignez sans délai l’abri le plus proche… »
Grade 4, relut-elle. Merde. C’était grave. Pourtant elle n’avait pas souvenir que les médias ou les autorités en aient parlé la veille. Grade 4, ça ne pouvait pas s’improviser, il y avait des signes.
Zoé releva le nez de sa tablette et avisa le jardin à travers la véranda. Les herbes vibraient dans le vent, et les buissons se courbaient. Oui, ça avait commencé. Même l’eau de l’étang dessinait des plis rapides sous la pression des rafales. Le plafond de nuages gris était bas, il étouffait le soleil, comme si la nuit était sur le point de tomber. Combien de temps venait-elle de passer absorbée par son écran pour ne même pas voir le changement de météo ? Ce truc la transformait en zombie. Ses petites obsessions personnelles et autocentrées la faisaient passer à côté du monde.
Le portable de Zoé vibra en même temps. Le SMS d’urgence.
Ce n’était pas une fausse alerte.
Le bandeau était clair.
« Alerte. Grade 4. Rejoignez sans délai l’abri le plus proche… »
Vous êtes le reflet de ce qui se fait de pire en ce monde en ce moment. Un champ de foire où des sourds n'ont pour intention que d'entendre leur propre voix. Où est le forum ancien, l'agora où on pouvait échanger, avec l'intention non pas de convaincre à tout prix, ni de rentrer se coucher orgueilleux d'avoir fait preuve de prosélytisme, mais au contraire de s'enrichir de toutes les différences des autres ?
-Je te la fais courte, le monde est devenu trop oisif. La vie courante trop facile, on a le temps. Le temps des loisirs, de l"ennui, de la paresse qui donne la flemme. Et avec cette cohorte est arrivé le mécontentement permanent. L'indolence mâtinée d'inaction est la recette de la rancoeur, de la jalousie, de la bêtise et donc du chaos. Couplée à un niveau de culture générale de plus en plus bas, donc a un manque de repères, de discernement, cela a fait le jeu des extrêmes politiques. Le racisme éthnique ( ces méchants émigrés qui volent nos valeurs communes) ou le racisme social ( ces méchants riches qui volent nos richesses communes) ont poussé le peuple qui s'emmerde et qui est en colère, qui hait par manque d'analyse, qui a peur par ignorance, vers le conflit, la destruction progressive de la société, son implosion plausible.
Combien de temps venait-elle de passer absorbée par son écran pour ne même pas voir le changement de météo ? Ce truc la transformait en zombie. Ses petites obsessions personnelles et autocentrées la faisaient passer à côté du monde.
Autant d'échecs pas franchement glorifiants. Elle traversa une période de peu d'estime, craignant d'être superficielle, une de ces filles qu'elle avait tant critiquées, qui mettaient quantité d'énergie à entretenir leur physique et leur bien-être plutôt que de trouver le point d'équilibre entre soi et les autres. Zoé se demanda juste si elle n'était pas, en réalité, devenue "une grosse conne".
C'était plus fort qu'elle. Romy savait qu'elle aurait dû se taire, mais parfois les paroles jaillissaient de sa gorge avant même qu'elle ait pu les filtrer. Trop d'années de frustration à ravaler ses colères, à encaisser, c'était comme si son cerveau avait épuisé ses réserves de tolérance et de retenue.
C'est dans une papeterie que la suite s'enclencha, Elle y alla pour acheter un organiseur familial effaçable à aimanter sur le frigo, il y avait trop de rendez-vous auxquels elle et Romy devaient se rendre et elles avaient besoin d'y voir un peu plus clair, lorsque Zoé tomba sur ce carnet à la couverture imitant les vieux livres reliés en cuir. Ses doigts glissèrent dessus, puis elle y revint pour l'ouvrir, sans bien savoir pourquoi, encore moins l'usage qu'elle pourrait en avoir. Caresser le vélin de ses feuilles lui donna la chair de poule.
Le soir même, sur le plan de travail de la cuisine, elle écrivait dedans la première page de ce qui deviendrait un roman. Sans savoir où elle allait, Zoé déversa son imagination, son plaisir, et les mots s'emboîtèrent. Au début, il y eut énormément de ratures, mais ça ne la dérangeait pas, elles étaient les hoquets de son esprit, et comme sa grand-mère le lui répétait : « C'est rien ma fille, le hoquet c'est un organisme qui travaille. » Elle aimait ça, que son esprit travaille.
Zoé n'avait jamais véritablement écrit, elle n'y avait jamais songé à vrai dire. Mais tant et tant de lectures avaient imprégné leur marque dans sa façon de formuler sa pensée, dans l'expression de sa création, que les phrases coulaient.
Elle ne mit que les neuf mois d'une grossesse normale pour aller au terme de son livre. Neuf mois et trois carnets exacte-ment.
Sa mère lui avait donné un heureux réflexe dès l'adolescence : toujours se balader avec un bouquin dans une poche.