Citations sur Une longue route pour m'unir au chant français (60)
"N'oublions pas nos morts ni notre propre mort,
C'est le devoir-mourir qui nous pousse vers l'élan.
De l'indicible au chant, notre voix est orphique,
Transmuant les absents en d'ardentes présences".
En 1947, à dix-huit ans, je fais une longue fugue. Durant plusieurs mois, je ne prends même pas la peine de donner des nouvelles à mes parents.
Plus de soixante-dix ans après, la scène de nos retrouvailles apparaît dans un de mes poèmes adressé à Dieu, au Dieu de la souvenance, alors qu'eux, de qui j'ai tout reçu, à qui en retour je n'ai donné que des soucis sans remède, ont quitté depuis longtemps ce monde dans des conditions poignantes :
"Je me lèverai et j'irai vers Toi,
Traversant les nuits d'insomnie, franchissant
La ligne incandescente des étoiles,
Je sais que Tu es loin,
Mais que par Toi,
Tout sera retrouvé.
Je me lèverai et j'irai vers Toi,
Enjambant l'abîme d'un pas résolu, ignorant
Toutes distances qui séparent.
Je sais que Tu es proche,
Que je dois Te chercher
Au plus intime de moi.
J'irai vers Toi, sûr de te retrouver,
Car je n'oublie point une scène de jadis :
Après une longue fugue, je suis revenu au logis,
L'ombre maternelle s'est retournée, a dit :
"Te voilà", j'ai répondu : "Me voici!",
Et j'ai fondu en larmes."
page 36
- Guerre sino-japonaise 1937 - massacres de Nankin -
Nous réussissons à embarquer sur un bateau qui remonte le Yang-zi jusqu'à la grande ville portuaire de Chongqing. Ce long périple sur le majestueux cours d'eau, chargé de passé et toujours en devenir, qui a tant inspiré la pensée taoïste, fait entrer définitivement la vision fluviale dans mon imaginaire et me fait embrasser sans hésitation l'idée de la Voie. La traversée dans le grondement tumultueux des vagues au spectacle sublime et en même temps plein de périls - à certains passages, le bateau frôle presque les falaises à pic - vaut baptême pour moi. A neuf ans, je comprends que mon voyage terrestre ne sera jamais de repos. Je serai toujours un errant, côtoyant sans cesse des abîmes imprévus.
pages 18/19
"L'Espace du rêve. Mille ans de peinture chinoise" paraît en novembre 1980. A Noël, tout le premier tirage est vendu. D'autres suivront jusqu'à l'usure complète des ektachromes. A cet album, succèderont, deux décennies durant, "Chu Ta". "Le génie du trait, Shitao. La saveur du monde, D'où jaillit le chant. La Voie des fleurs et des oiseaux dans la tradition des Song et Toute beauté est singulière. Peintres chinois de la Voie excentrique.
Au sortir de cette aventure aussi excitante qu'exténuante, je me sens autre. La permanente sensation de décalage qui me minait a fait place à celle, enivrante, d'une adéquation entre mon vouloir et mon pouvoir. En mon être, je le sais, un travail de fond a été accompli et une étape décisive franchie. Je suis parvenu, à ma manière, à rendre visible la meilleure part d'une culture qui m'habitait, sans ignorer que cela ne m'a été possible que grâce à la meilleure part d'une autre culture, laquelle, entre-temps, m'a procuré les références et une vue assez élevée pour tout embrasser. A la base de ce long processus réside l'agir de l'incontournable langue. Cette langue tant convoitée, que j'ai tenté de conquérir de haute lutte, tout à coup elle est là, en son entier, sans réserve, pleine de sollicitude, consentant à être la juste résonance de ce que je porte de plus secret en moi. Là-dessus, nul doute n'est possible : lorsque je monologue, je le fais en français ; lorsque je rêve, pareillement.
page 120
La lignée humaine est une longue corde tressée qui permet l'ascension.
J'ai saisi en cet instant que ce que la nature nous fournit est un don inestimable. Encore faut-il que ce don puisse en nous se métamorphoser pour qu'un mystère se révèle et que tout prenne sens.
nuage
Fleur, est-ce une fleur ?
Brume, est-ce la brume ?
Arrivée à mi-nuit,
S’en allant avant l’aube.
Elle est là, rêve d’un printemps éphémère,
Elle est partie, nuage du matin, nulle trace.
p.186
Il s’agit selon Français Cheng de la Transposition
en français du poème Bo Juyi chéri de tous les
Chinois.
Riche des mots nouvellement appris qui constituent pour mon âme un véritable rempart, je me convaincs d'être en sûreté, protégé efficacement contre les agressions venues du dehors.Des mots-nourritures, des mots- paysages, des mots de la réalité pratique. Et d'autres qui mènent à des êtres(...)
Au milieu de la cohorte de noms, sonne à mon oreille celui de Rainer Maria Rilke.J'apprends,stupéfait, qu'habitant près de la bibliothèque durant son premier séjour à Paris, il se réfugiait lui aussi en ce lieu pour entrer en communion avec d'autres créateurs.
Rilke ! Ce nom brille d'un éclat singulier au centre de ma voûte céleste, un astre à nul autre pareil.
( p.52)
Ici la terre affirme
Sa présence calme et sûre,
Tantôt charnelle, tantôt
Aérienne, selon l'heure.
Ici l'homme comblé se garde
Du mot de trop, sachant
Que les dieux sont jaloux.
Magie du langage humain. Un mot, quand on le prononce, ne dure qu'une seconde. En une seconde, l'essentiel de ce qu'implique une destinée est proféré. Il nous reste à investir notre Voix dans la marche de la Voie. Je sais gré à la langue française de marier phonétiquement ces deux termes, puisque en chinois tao veut dire à la fois "chemin" et "dire". Dans mon cheminement du chinois vers le français, semé de tant d'épreuves, point de cassures, de ruptures, de sacrifices, mais bien des métamorphoses, des transformations, un accomplissement transfigurant.