Citations sur Le dernier crâne de M. de Sade (15)
- [...] Premièrement, j'interdis que mon corps soit autopsié. Je sais trop que c'est l'usage ici, on pratique l'autopsie de façon systématique, dans les heures qui suivent la mort. Pour moi, pour mon propre corps, je l'interdis absolument. AB-SO-LU-MENT, vous m'entendez ! Doucet approuve d'un hochement de tête. Mais il est demeuré silencieux. - Jurez, docteur Doucet ! Jurez-moi qu'il n'y aura pas d'autopsie ! Au besoin que vous vous y opposerez par la force. ou par la désobéissance ! Doucet jure. Il est livide. - Deuxièmement, poursuit M. de Sade d'une voix forte - il crie presque - j'interdis qu'aucune croix, ni aucun signe religieux, soient dressés sur ma dépouille. Aucune saloperie de croix, ni aucun signe religieux ! Vous m'entendez, docteur Doucet, aucune croix ! Aucune cochonnerie de croix !
Il disait qu’il ne ferait pas de vieux os. Qu’on aurait son corps, pas sa tête. C’était confus. A la fois très compréhensible et très obscur. A la fin j’ai saisi quelques mots, qu’il a répété plusieurs fois : "Mon dernier crâne! Mon dernier crâne!" Ce qui montre bien l’incohérence où peut sombrer cet impie. p.22
.....Le crâne de M. de Sade n'a pas besoin d'ornements. Il est ornement lui-même, de volume concentré, d'ordre élevé, de magie intense, de hantise sonore et de silence où retentissent, et fulgurent, l'orgueil de la Raison et le vol de l'aigle.
Quand cette histoire commence, en été 1814, Donatien Alphonse François, marquis de Sade, est enfermé depuis onze ans à Charenton, dans le Val-de-Marne, à la limite sud-est de Paris, un hospice d'aliénés placé sous la surveillance vétilleuse du ministère de l'Intérieur. M. de Sade est gros, accablé de toutes sortes de maux qu'une vie d'aventure, d'emprisonnement, d'obscénité et d'imagination scandaleuse a accumulés dans son corps vicié, en même temps brûlé dedans et dehors.
.....L'abbé n'est pas un innocent. Il a derrière lui dix-huit siècles d'une Eglise arc-boutée sur le dogme et le pouvoir charbonneux.
Pour l'abbé Geoffroy, sans répit, le monde se résout dans un affrontement : le diable contre Dieu.
Et M. de Sade, c'est le diable.
....Mais c'est tout le corps qui est atteint, quasi obèse, maintenant adipeux, persillé de blanc et de rouge, alors que l'esprit brasille, foudroie, - la parole de M. de Sade est toujours aussi tranchante, - et que l'œil bleu exige.
Le dedans, le dehors.
Tout ce qui peut lui être agréable lui prolonge l'existence. Homme de passion, donc d'humeur, et d'éclats, une grenade toujours prête à exploser. Il serait faux de le prier. Laissez donc faire la Nature. C'est elle qui décidera du jour et de l'heure de notre ami. Il est déjà admirable, après la vie qu'il a menée, qu'il soit encore parmi nous, dressé contre la Mort comme la sentinelle de son propre destin !
C'est parce que l'Homme est seul qu'il a si terriblement besoin de symboles. D'un crane, d'amulettes, d'objets de conjuration. La conscience vertigineuse de la fin de l'ere dans la mort. A chaque instant la ruine. Peut être faudrait-il regarder la passion d'un crane et simplement d'un crane hanté, comme une manifestation désespérée d'amour de soi et du monde déjà perdu.
“L’anus bée, ourlé comme un bijou fruité, couleur de braise, de framboise des bois, un rouge rosé sur l’ombre où il voudrait inviter. Le docteur Doucet s’interroge. Stupeur et admiration. Qu’a fait le marquis, que fait-il encore, pour arriver à ce trou étrange? Qui favorise ce vice? Quels monstrueux objets polis ou subtilement contournés perforent cette chair extasiée et rougeoyante? Cette lascivité porcine, râlante, grognante, ce tas de viande qui halète et se pâme sous le boutoir. Et tout cela qui sert d’enveloppe, de support corporel déchu, à l’esprit le plus aigu et le plus libre de son siècle.”
C'est parce que l'homme est seul, qu'il a si terriblement besin de symboles.