Rien de ce qui est émotif ne peut être faux, puisque l’émotion n’est pas une question de vrai ou de faux. Le raisonnement le plus imparable ne changerait rien à ce que j’éprouve.
Vous, les adultes, il vous faut toujours des coupables, et vous n’êtes apaisés que quand votre propre innocence est établie. Vous ne voulez pas admettre que certaines choses n’ont tout simplement pas de sens, qu’il faut les accepter sans compensation morale et avancer tout sa vie sous leur poids. La douleur, c’est le danger, quand on est en vie.
J’ai aussi perdu le sourire, et tout ce qui te faisait m’appeler ta petite étincelle. Elle est éteinte, l’étincelle, maintenant que tu n’es plus là pour souffler sur elle ta fantaisie et ton amour de la vie.
-Ma bibliothèque est la plus grande liberté qu’il me reste, dit Violette. Mon fauteuil ne peut pas m’emmener au bout du monde, mais les livres, les films et les disques, eux, le peuvent. Mes bras sont assez musclés pour le genre de voyage qu’ils proposent, et les obstacles y sont rares. Il n’y a pas de mobilité réduite dans leur univers, tout le monde peut y évoluer à son aise.
Je suis épuisée, j’avais oublié combien parler requiert d’énergie. La tête me tourne un peu, je crois entendre l’écho de ma propre voix dans ma boîte crânienne.
Elina, Te rencontrer m’a donné l’illusion que je pouvais de nouveau vivre, juste un peu, et uniquement à travers toi. Par procuration, comme on dit. Tu pouvais être mes jambes, mes oreilles, ma jeunesse, tout ce que j’avais perdu d’un coup.
Depuis l'époque de cette photo, papy est parti vivre ailleurs, tu t'es marié, je suis née, le chien de mamie est mort, papy s'est remarié, papa t'as quitté, nous avons déménagé, tu es morte, Sandrine est tombé enceinte, mais à travers ces événements et tant d'autres que l'on ne m'a pas encore racontés, le salon est resté intact.
A la force de tes bras et de tes jambes, pour la première fois depuis plus d'un an, j'ai ressenti la vitesse sur ma peau.
- J'ai arrêté de lire, dis-je. Il n'y a pas de vérité dans les livres, mais seulement des histoires auxquelles on feint de croire pour se rassurer ou pour jouer à se faire peur.
- Les histoires sont partout, dans les livres, dans la vie, dans le moindre grain de sable. Chacune libère un possible.
Le mouvement perpétuel existe, dans le cerveau de ceux qui ont tout perdu mais continuent quand même à vivre.
Êtes-vous ma psychologue ou l'avocate de papa ? Vous, les adultes, il vous faut toujours des coupables et vous n'êtes apaisés que quand votre propre innocence est établie. Vous ne voulez pas admettre que certaines choses n'ont tout simplement pas de sens, qu'il faut les accepter sans compensation morale et avancer toute sa vie sous leur poids.
Sans doute la véritable liberté consiste-t-elle à questionner les principes. À se révolter contre les évidences.
Je ne te ferais pas l'injure de te présenter des excuses. Des excuses seraient bien légères face à des vies détruites - celle de ta mère, la tienne, et sans doute d'autres que je ne connais pas. Si cela peut t'apaiser, la mienne l'est aussi.