AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de karmax211


Un roman dédié "aux endeuillés et aux vulnérables" ne pouvait que m'interpeller.
Si j'ajoute que j'ai une certaine admiration pour l'auteure, intellectuelle psychologue psychanalyste brillante, et, je vais être sincère, un faible pour la femme... le temps étant venu d'extirper des rayonnages de ma bibliothèque son roman, c'est avec confiance et curiosité que j'ai commencé cette autobiographie ou cette autofiction psychanalytique.

Avec l'impudeur des esprits libres, Sarah Chiche se met à nu dans ce récit, cette saga familiale qui débute avec la colonisation de l'Algérie, qui court de 1830 à 1847 pour s'achever en 1902 avec la finalisation de la conquête du Sahara cette année-là.
À noter l'épisode sur la "fièvre des marais", le paludisme et la découverte du rôle du moustique comme causes ( marais-moustique ) de la malaria... l'apport de la quinine et l'assèchement desdits marais.
Si j'ai pris le temps de m'arrêter sur ce point particulier, de faire cette digression, c'est pour les lecteurs n'étant pas au fait sur le sujet et parce que la saga familiale des "Chiche", c'est l'histoire d'un empire de médecins et de cliniques ayant fait fortune en Algérie, puis déchus après l'indépendance de la colonie en 1962... avant de rebondir en reconstituant cet empire en métropole.
L'histoire de cette famille qui, comme tant d'autres, s'aime à l'amour à la haine, rivalise, se jalouse, se cajole, s'unit, se déchire, communique dans le silence, les non-dits, les tromperies, les discours convenus, se serre les coudes par esprit de classe, éclate et se retrouve quelquefois dans les drames, les derniers instants, c'est, pour banaliser le propos... l'histoire de la vie, notre histoire ou un peu de l'histoire de chacun d'entre nous.
En tout cas, moi je m'y suis retrouvé et reconnu comme tel.

Ce récit s'ouvre en 1977 sur la mort à 34 ans du père de Sarah atteint d'une leucémie.
Dans une chambre d'hôpital nous assistons aux derniers instants de Harry, le frère cadet des Chiche qui, un peu comme Fritz Zorn ( Lisez MARS pour mieux comprendre ), quitte ce monde très jeune entouré des siens : sa mère, son père, Armand son frère aîné, Ève sa femme ; Sarah n'est pas présente, elle n'a alors que quinze mois.
Une scène poignante qui, d'emblée, vous fiche un de ces coups émotionnels auxquels le coeur du lecteur réagit au bord des yeux ; c'est ce qui m'est arrivé.
C'est à partir de cette scène fondatrice que Sarah Chiche construit son roman, celle de cette saga familiale dont elle va être la victime innocente... parce que la plus jeune et la plus vulnérable.
Son défi va consister à s'identifier, à se donner l'autorisation d'exister, elle orpheline d'un père qu'elle n'a pas connu, d'une mère dont la relation à la vérité est des plus aléatoires, elle dont la mère en question, brebis galeuse d'une famille paternelle qui l'a rejetée et qui a fait croire à sa fille que cette même famille paternelle ne l'aimait pas, va développer des troubles sévères de la personnalité, troubles qui vont la conduire au bord du précipice de la folie et de la mort...
Je vous passe le relais...

Il faut, j'ai déjà employé ces mots, l'impudeur des esprits libres pour oser brosser le portrait d'une mère, bellissime jeune femme fantasque posant pour des photos érotiques et se prostituant à l'occasion. Détailler de manière crue l'amour la liant à son père... la scène où les deux amants font l'amour au bord de la piscine familiale sous le regard lubrique du frère aîné planqué dans une haie voisine n'en est qu'un exemple parmi d'autres. Évoquer les manigances de l'oncle Armand qui, n'acceptant pas cette liaison, cette mésalliance, paye un détective pour suivre la jeune femme, laquelle, en dépit des promesses faites à Harry continue d'avoir des quarts d'heure américains tarifés dans les bras d'hommes prêts à louer ses charmes. Ses révélations n'empêcheront pas le pardon et le mariage de se faire envers et contre toutes les méfiances et toutes les oppositions De La Famille...
Il faut un certain rapport à la vérité ou tout au moins à une certaine perception de la réalité pour raconter la relation pour le moins antithétique, conflictuelle entre ces deux frères. L'aîné, le bon en tout, arriviste ambitieux qui arrive à satisfaire ses ambitions et son cadet, idéaliste, rêveur, un brin artiste, amoureux des étoiles ( une des raisons du choix de Saturne comme titre ) qui, en pension avec son aîné est resté incontinent jusqu'à l'adolescence, a été le fils qui déçoit et qui un jour décide de quitter la fac de médecine pour tomber sous l'emprise des casinos, s'endetter et s'éprendre d'une passion "insensée" pour une sublime créature rencontrée un petit matin... ou était-ce une nuit sur un trottoir... le fils vilain petit canard boiteux, peu digne représentant d'une "dynastie"...
Il faut du courage ( au sens littéraire du mot ) pour parler de l'enfant perdue qu'on a été et qui, pour répondre à l'injonction de l'un de ses TOC ( trouble obsessionnel compulsif ) se jette dans le lac de Genève... sans savoir nager...
" ... ces impulsions morbides qui, à l'époque, dévoraient en secret ma tête, et faisaient de mon quotidien d'enfant un enfer : Marche sur les lignes, Si tu dis à ta mère que ton oncle te manque elle ne t'aimera plus, Ne dis pas au téléphone que ta mère te frappe sinon tu mourras, Si tu ne sautes pas par-dessus la dernière marche de cet escalier, ta mère mourra elle aussi, Dis "saucisse" pendant la classe, et pour finir, pour en finir : Saute.
Il y aurait ensuite bien des fois où cela se répèterait pathétiquement, loin des regards, jusqu'à ce que l'analyse me permette de convertir cette docilité dangereuse aux injonctions mentales, cette douceur proche de l'inertie déjà grisante, en préférence pour la solitude, la liberté, et la joie brûlante de vivre."
Il faut ce besoin de se dépouiller des oripeaux d'une certaine enfance pour raconter un mariage raté qui durera sept mois quelque part en Outre-mer, ponctué par une liaison adultérine avec un homme marié père de famille, un retour au pays qui coïncide avec la mort d'une grand-mère délaissée, rejetée mais dont on se précipite, faute d'un travail et d'un toit, sur l'héritage... puis la chute dans le trou noir de la "dépression"...deux mois de réclusion dans un hôtel minable, les délires, le cimetière où repose auprès de son père et du père de son père ce père que l'on n'a pas connu mais sur la tombe duquel on se recroqueville en position foetale pour y trouver le repos la paix... Et enfin le "sauvetage", les traitements qui zombifient et renvoient l'image de la laideur, les tentatives infructueuses, inabouties de "réinsertion" par le travail.
Et arrive le jour où sa mère qui a fait "restaurer" 28 bobines de films super 8, Sarah voit sur un écran ( mot symboliquement fort psychanalytiquement parlant ) son père vivant et découvre que ce père l'a aimé...
Début et fin de la quête d'identité ?
Fin du "travail de deuil" ? ( expression stupide que je déteste )...
Fin en tous les cas du roman sur ces mots :
" Et sur la route où je pars, seule, mais avec les mélancoliques, les amoureux, les endeuillés et les intranquilles, seule mais cachée dans la foule des vivants et des morts, tout est perdu, tout va survivre, tout est perdu, tout est sauvé. Tout est perdu. Tout est splendide."
Il fallait du courage pour raconter la saga de cette famille placée sous le signe de Saturne, celui qui dévore ses enfants ( référence au tableau de Goya ).
Il fallait du talent pour le faire avec autant de liberté sans aucun pathos juste avec les mots de celle qui sait qu'elle vient et qu'elle revient de loin et qu'il lui faudra encore aller plus loin pour en finir avec ce qui en fait n'est jamais qu'un éternel recommencement.
Commenter  J’apprécie          363



Ont apprécié cette critique (36)voir plus




{* *}