C'est un phénomène étrange, quand on y songe, que le choix qui s'opère dans nos souvenirs. Car il doit exister un choix, même s'il est inconscient. Réfléchissez. Prenez n'importe quelle année de votre enfance. Vous vous souvenez de cinq ou six incidents. Ils n'étaient pas importants. Pourquoi les avoir choisis parmi les événements de trois cent soixante-cinq jours ? Certains ne signifiaient pas grand-chose, et cependant ils sont restés gravés dans votre mémoire.
Retour en arrière. Retour dans le passé. Pourquoi se souvenir vous faisait-il si mal ?
Si seulement elle n'avait pas été seule dans cette grande maison ! Si seulement Dermot avait été avec elle ! Dermot dirait : "Il n'y a qu'à tout brûler sans regarder." C'était raisonnable, mais elle ne pouvait s'y résoudre.
Elle ouvrit d'autres tiroirs. Des poèmes, des pages de poèmes tracées d'une écriture fânée. L'écriture de sa mère, quand elle était jeune fille. (...)
Etre jeune. Vieillir. Quel mystère effrayant ! Existait-il un moment particulier où vous étiez plus vous-même qu'à aucun autre ?
La passion ne dure pas. L'affection demeure.
Laisser deviner à Margaret que ses histoires étaient incompréhensibles eût été de la dernière cruauté. Mais la tension était insupportable. Celia rentrait chez elle en pleurs. Tout le monde croyait qu'elle n'aimait pas Margaret. En réalité, c'était tout le contraire. C'était parce qu'elle aimait tendrement son amie qu'elle ne pouvait supporter de lui laisser deviner ce qu'elle ressentait.
Personne ne comprenait. Dans ces moments, l'enfant se sentait terriblement seule.
- Maman et moi avons essayé d'étudier la botanique, un jour, reprit Celia, mais nous avons fini par jeter nos livres au feu. C'était si monotone! Connaitre les différentes sortes de fleurs, les classer, apprendre ce qu'est le pistil, les étamines, c'est horrible, j'avais l'impression de déshabiller ces malheureuses. Je pense que c'est dégoûtant... que c'est... indélicat.
Dans la soirée, quand Susan lui avait fait prendre son bain, maman venait dans la nursery donner à Celia « un dernier bisou ». Celia essayait de ne pas bouger pour que le «bisou de maman» restât jusqu'au matin. Hélas! il était toujours effacé au réveil...
- J'ai beaucoup réfléchi, dit-elle, et c'est vraiment la meilleure solution. C'est simple, facile... rapide. Et cela ne dérangera personne.
A cette dernière phrase, je me rendis compte qu'elle était ce qu'on appelle «une personne bien élevée». On lui avait appris dès l'enfance à avoir de la considération pour autrui.
Maintenant, je prétends être un écrivain, pensa-t-elle. C'est encore plus étrange que de prétendre être une épouse et une mère.
Était-il vrai, comme tant de femmes se plaisaient à le dire, que les hommes ne voulaient les femmes que comme compagnes de lit ou maîtresses de maison ?
Était-ce là la véritable tragédie du mariage ? Les femmes désiraient-elles être considérées comme des compagnes et les hommes se refusaient-ils à les considérer comme telles ?
Je ne me suis plus souciée de faire du mal aux autres. Lorsque l'on a trop souffert soi-même, on ne se soucie plus de rien.