A défaut d'avoir une mère à la maison, nous avons un exemple sous les yeux. Au cas où nous risquerions de l'oublier, elle nous le rappelle sans arrêt. Elle a toujours raffolé des sermons, elle nous le rappelle sans arrêt. Nous pourrons vieillir, elle n'y renoncera jamais. Le sacrifice fait partie de ses grands thèmes : elle a gâché sa vie pour nous, elle aimerait bien que nous en prenions de la graine. Je ne dis rien, mais pour ma part, c'est non. Sa propension à l'héroïsme me terrifie. Je veux une vie à moi.
La portion culturelle que je m'administre relève du domaine privé. Je tolère mal que d'autres s'en chargent, et l'exposent, sans rien me demander, dans le domaine public.
Mon père est un homme démuni. Il n'a rien, rien de ce qui se possède, rien de ce qui s'hérite, rien de ce qui se gagne. Tout ce qu'il a, c'est beaucoup de mal à trouver du travail. Et quand il en trouve, il le perd. Mon père ne compte dans ses propriétés que des biens immatériels, difficilement négociables. Ainsi, il est élégant.
L'air est aussi plus doux qu'aujourd'hui, les gens moins craintifs, les crises n'ont pas ruiné la confiance que l'on peut se porter. Dans les années qui suivent, le relégation et la misère nécrosent le tissu. Il durcit. J'imagine que plus personne ne prendrait, aujourd'hui, la montre de mon père en gage d'une livre de bourguignon.
J'ai acquis une sorte d'aversion pour les sports violents. J'aime les boxeurs, je crains la boxe. (...) Quand je boxais, je n'ai jamais aimé assister aux combats. Il fallait que des amis montent sur un ring pour que je fasse l'effort de m'y rendre. J'étais malade de voir mon frère combattre. Se battre, c'est possible. Regarder les autres, c'est affreux.
Plus tard, j'ai appris que les images de la libération de Paris que l'Histoire a conservées sont des mises en scène, tournées après coup. C'est que les soldats qui sont entrés les premiers dans la ville n'étaient pas blancs. Des libérateurs nègres, les mémoires n'en voulaient pas. A moins qu'elles ne se soient méfiées des nègres eux-mêmes. D'une montée soudaine de fièvre nègre libératrice. Enfin, quoi qu'il en soit, il a fallu refaire la prise. Blanchir tout ça.
J'aimerais que celle ou celui qui lira ce petit livre mesure ce qu'il a de déchirant. Il est mon au revoir à ceux que je laisse sur le quai. Il est mon au revoir à mon enfance de petite fille noire en collants verts qui dévale en criant les jardins de Ménilmontant...
J'aimerais que celle ou celui qui lira ce petit livre mesure ce qu'il a de déchirant. Il est mon au revoir à ceux que je laisse sur le quai. Il est mon au revoir à mon enfance de petite fille noire en collants verts qui dévale en criant les jardins de Ménilmontant...
J'appartiens exclusivement à cette petite société de trois personnes, que soude leur effort démesuré pour tenir droit, et présenter encore au monde une figure impassible.
Les morts viennent habiter la place que les vivants n'arrivent pas à peupler.