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Citations sur Substance (49)

L'enfant qu'on a été, et qui n'a laissé, à la surface des jours défunts, pas même une trace, nous nous efforçons de le reconstituer plus tard à partir d'une chair qui n'est plus la sienne, avec des os qui désormais l'encagent, le voilà traversé par un sang qui lui monte à la tête, et sa tête nous la vissons et la dévissons sans cesse sur des épaules trop larges tel un savant se sachant fou, jamais satisfait, vraiment, du résultat, car le sourire de cet enfant est toujours trop court, ses grimaces rebiquent, son front plisse déjà, et même les photos conservées dans le formol familial, pourtant censées nous aider à la réinventer, mentent honteusement. Nous sentons que l'enfant que nous avons été est devenu pour ainsi dire notre aïeul à rebours, et nous ne saurons jamais quelle météorite, quelle glaciation, quels prédateurs l'ont chassé des forêts pétrifiées du souvenir. Ici ou là, bien sûr, des récits dignes du plus niais folklore nous aident à faire de ce ouistiti d'antan autre chose qu'un minuscule empaillé, une figurine à la cire instable – tu étais tellement ceci, tellement cela, un jour tu as dit x, un autre tu as fait y – mais ni les ceci ni les cela, ni ce qui fut dit ou fait ne peuvent fracasser le miroir derrière lequel, prisonnier de l'aujourd'hui, nous scrutons le légendaire hier.
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Les souvenirs du Dortoir aux Entrailles me parvenaient encore par bouffées. Leurs ongles laissaient des traces, une crasse que je retrouvais au matin, apeuré, collée au creux de mes paupières, à croire qu’ils avaient cherché à m’énucléer mais s’étaient lassés de cette besogne. Je ne pouvais ni les altérer ni les éloigner, à la différence des autres souvenirs, ceux qui poussèrent dans l’Après, ceux que la Tante m’apprit à domestiquer, ceux qui se laissaient friser et exécutaient tous les tours dont l’idée me venait. Les souvenirs du Dortoir aux Entrailles avaient, eux, des droits et des privilèges, ils me réquisitionnaient comme si j’étais leur chair chérie, leur festin chéri, leur purin chéri. Ceux que la Tante avait semés étaient doux, légers, de suaves chromos que je n’avais qu’à laisser fondre sous ma langue. Ils m’aidaient à m’imaginer invité ici-bas. Ils me reconstituaient, m’illusionnaient, toutes choses nécessaires. J’avais soif de leurs doux remous.
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Les mystères sont des monstres patients. La chambre de la Tante était toujours fermée à double tour. Toujours.
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Ma guirlande d'amour qui s'élève jusqu'au ciel humecte si délicieusement les feuilles de la forêt que son doux parfum embaume le chemin à travers les nuages. Cette phrase, que Jacqueline Cerci m'avait demandé d'apprendre par coeur, était en fait , comme elle me l'avait expliqué un jour chez le coiffeur afin de m'enseigner la patience pendant que refroidissaient ses bigoudis, le nom d'une jeune Hawaïenne ayant dû le décliner alors qu'elle postulait pour un emploi dans une conserverie d'ananas. Jacqueline Cerci demanda à la coiffeuse un stylo et du papier et m'écrivit alors le nom de la jeune femme sans marquer la moindre hésitation:

Gwendolyn Kuuleikailialohaopiilaniwailauoke-
koaulumahiehiekealaomaonaopiikea Kekino.
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Les visages sont des volcans, et leur feu souvent dissimulé et à jamais insondé, de leur émanations soufrées, nous ne percevons qu'une vague de chaleur que nous appelons, par commodité, expression.
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C'était peut-être ça que mes parents avaient omis de me transmettre : la connaissance de la mort. N'auraient-ils pas dû, avant de se défiler lâchement, prendre le temps de m'enseigner à aimer les vivants au-delà de leur inéluctable péremption ? Mais comment, s'ils l'avaient voulu, auraient-ils pu le faire ? Qu'est-ce qui clochait chez moi ? Pourquoi n'étais-je pas affligé ? Pourquoi l'affliction refusait-elle de couler dans mes veines ? Étais-je incrédule au point de nier aux morts l'évidence de leur absence définitive ? Comme s'ils s'éloignaient juste, s'écartaient, se retranchaient ? Au point que j'en étais venu à m'égarer dans d'ineptes dédales spirites ? Et si l'au-delà était ici ? Tout près ? Si près qu'à peu de choses près c'est en moi qu'il se cachait ? L'au-delà ? En moi ? Oû ça ? En moi je ne ressentais qu'un grand vide, dû sans doute à la faim, la gueule de bois et l'ennui. Voici les cendres. De votre tante. Balbutia l'employé des pompes funèbres.
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Rien de tel qu’une chimère pour en chasser une autre. Le fait est que nos peurs nous ressemblent : elles aussi refusent de mourir. C’est pourquoi elles s’invitent violemment dans nos rêves sous la pire forme qui soit : une forme presque humaine. Une presque-forme. Certains laissent s’insinuer dans leurs nuits des peurs-fantômes, se plaisent à faire parader des lémures ; d’autres s’accommodent de simples inquiétudes qui hélas se changent vite en nœuds, en pierres pénibles à soulever, et au matin les voilà qui occupent leur café à démêler de fades énigmes, les voilà devenus, entre deux tartines, patients traducteurs d’allégories ineptes.
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Mais il en est d'autres pour qui les cauchemars sont tout autre chose que l'ombre portée d'une indigestion, pour qui ils sont, ni plus ni moins, l'inévitable extension des supplices que leur ont infligés des être bien réels
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L'enfant qu'on a été, et qui n'a laissé, à la surface des jours défunts, pas même une trace, nous nous efforçons de le reconstituer plus tard a partir d'une chair qui n'est plus la sienne, avec des os qui désormais l'encagent
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Je tentai la télépathie, qui ne saurait être une fable puisqu’on en parle régulièrement : “Arrière, support de Satin !” (Je découvris à cette occasion que la télépathie, comme la dactylographie, n’est pas à l’abri des fautes de frappe.) Mais le message porta ses fruits, l’homme tressaillit et recula, ce qui est la dernière chose à faire dans un supermarché, où devrait s’appliquer le Code de la route, et l’imprudent fut presque aussitôt percuté mais comme au ralenti par un caddie sûr de son bon droit et plein à ras bord d’articles indispensables à l’embolie – s’ensuivit un échange d’excuses pharisiennes et de reproches larvés, chacun hésitant entre la posture du cueilleur et celle du chasseur.
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