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Citations sur Connaissance de l'Est - L'Oiseau noir dans le soleil .. (100)

«  Même pour le simple envol d’un papillon , tout le ciel est nécessaire » .
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Arrivant de l’horizon, notre navire est confronté par le quai du Monde, et la planète émergée déploie devant nous son immense architecture. Au matin décoré d’une grosse étoile, montant à la passerelle, à mes yeux l’apparition toute bleue de la Terre. Pour défendre le Soleil contre la poursuite de l’Océan ébranlé, le Continent établit le profond ouvrage de ses fortifications ; les brèches s’ouvrent sur l’heureuse campagne. Et longtemps, dans le plein jour, nous longeons la frontière de l’autre monde. Animé par le souffle alizé, notre navire file et bondit sur l’abîme élastique où il appuie de toute sa lourdeur. Je suis pris à l’Azur, j’y suis collé comme un tonneau. Captif de l’infini, pendu à l’intersection du Ciel, je vois au-dessous de moi toute la Terre sombre se développer comme une carte, le Monde énorme et humble. La séparation est irrémédiable ; toutes choses me sont lointaines, et seule la vision m’y rattache. Il ne me sera point accordé de fixer mon pied sur le sol inébranlable, de construire de mes mains une demeure de pierre et de bois, de manger en paix les aliments cuits sur le foyer domestique. Bientôt nous retournerons notre proue vers cela qu’aucune rive ne barre, et sous le formidable appareil de la voilure, notre avancement au milieu de l’éternité monstrueuse n’est plus marqué que par nos feux de position.
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LE RIZ

C’est la dent que nous mettons à la terre même avec le fer que nous y plantons, et déjà notre pain y mange à la façon dont nous allons le manger. Le soleil chez nous dans le froid Nord, qu’il mette la main à la pâte ; c’est lui qui mûrit notre champ, comme c’est le feu tout à nu qui cuit notre galette et qui rôtit notre viande. Nous ouvrons d’un soc fort dans la terre solide la raie où naît la croûte que nous coupons de notre couteau et que nous broyons entre nos mâchoires
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L’arbre seul, dans la nature, pour une raison typifique, est vertical, avec l’homme. Mais un homme se tient debout dans son propre équilibre, et les deux bras qui pendent, dociles, au long de son corps, sont extérieurs à son unité. L’arbre s’exhausse par un effort, et cependant qu’il s’attache à la terre par la prise collective de ses racines, les membres multiples et divergents, atténués jusqu’au tissu fragile et sensible des feuilles, par où il va chercher dans l’air même et la lumière son point d’appui, constituent non seulement son geste, mais son acte essentiel et la condition de sa stature…
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Le Contemplateur.

Ai-je jamais habité ailleurs que ce gouffre rond creusé au coeur de la pierre? Un corbeau, sans doute, à trois heures, ne manquera pas de m’apporter le pain qui m’est nécessaire, à moins que le bruit perpétuel de l’eau qui se précipite ne me repaisse assez. Car là-haut, à cent pieds, comme si elle jaillissait de ce ciel radieux lui-même avec violence, entre les bambous qui le fourrent, franchissant le bord inopiné, le torrent s’engloutit et d’une colonne verticale, moitié obscure et moitié lumineuse, frappe, assénant un coup, le parquet de la caverne qui tonne. Nul œil humain ne saurait me découvrir où je suis; dans ces ombres que midi seul dissipe, la grève de ce petit lac qu’agite le bond éternel de la cascade est ma résidence. Là-haut, à cet échancrement qu’elle dépasse d’un flot intarissable, cette goulée d’eau rayonnante et de lait est tout cela qui, par un chemin direct, m’arrive du ciel munificent. Le ruisseau fuit par ce détour, et parfois, avec les cris des oiseaux dans la forêt, j’entends, parmi la voix de ce jaillissement où j’assiste, derrière moi le bruit volubile et perdu des eaux qui descendent vers la terre.
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Dissolution.

Et je suis de nouveau reporté sur la mer indifférente et liquide. Quand je serai
mort, on ne me fera plus souffrir. Quand je serai enterré entre mon père et ma
mère, on ne me fera plus souffrir. On ne se rira plus de ce coeur trop aimant.
Dans l’intérieur de la terre se dissoudra le sacrement de mon corps, mais mon
âme, pareille au cri le plus perçant, reposera dans le sein d’Abraham.
Maintenant tout est dissous, et d’un oeil appesanti je cherche en vain autour de
moi et le pays habituel à la route ferme sous mon pas et ce visage cruel. Le
ciel n’est plus que de la brume et l’espace de l’eau. Tu le vois, tout est
dissous et je chercherais en vain autour de moi trait ou forme. Rien, pour
horizon, que la cessation de la couleur la plus foncée. La matière de tout est
rassemblée en une seule eau, pareille à celle de ces larmes que je sens qui
coulent sur ma joue. Sa voix, pareille à celle du sommeil quand il souffle de ce
qu’il y a de plus sourd à l’espoir en nous. J’aurais beau chercher, je ne trouve
plus rien hors de moi, ni ce pays qui fut mon séjour, ni ce visage beaucoup
aimé.
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Tristesse De L'Eau.

Il est une conception dans la joie, je le veux, il est une vision dans le rire.
Mais ce mélange de béatitude et d’amertume que comporte l’acte de la création,
pour que tu le comprennes, ami, à cette heure où s’ouvre une sombre saison, je
t’expliquerai la tristesse de l’eau.

Du ciel choit ou de la paupière déborde une larme identique.

Ne pense point de ta mélancolie accuser la nuée, ni ce voile de l’averse
obscure. Ferme les yeux, écoute! la pluie tombe.

Ni la monotonie de ce bruit assidu ne suffit à l’explication.

C’est l’ennui d’un deuil qui porte en lui-même sa cause, c’est l’embesognement
de l’amour, c’est la peine dans le travail. Les cieux pleurent sur la terre
qu’ils fécondent. Et ce n’est point surtout l’automne et la chute future du
fruit dont elles nourrissent la graine qui tire ces larmes de la nue hivernale.
La douleur est l’été et dans la fleur de la vie l’épanouissement de la mort.

Au moment que s’achève cette heure qui précède Midi, comme je descends dans ce
vallon qu’emplit la rumeur de fontaines diverses, je m’arrête ravi par le
chagrin. Que ces eaux sont copieuses! et si les larmes comme le sang ont en nous
une source perpétuelle, l’oreille à ce choeur liquide de voix abondantes ou
grêles, qu’il est rafraîchissant d’y assortir toutes les nuances de sa peine! Il
n’est passion qui ne puisse vous emprunter ses larmes, fontaines! et bien qu’à
la mienne suffise l’éclat de cette goutte unique qui de très haut dans la vasque
s’abat sur l’image de la lune, je n’aurai pas en vain pour maints après-midi
appris à connaître ta retraite, val chagrin.

Me voici dans la plaine. Au seuil de cette cabane où, dans l’obscurité
intérieure, luit le cierge allumé pour quelque fête rustique, un homme assis
tient dans sa main une cymbale poussiéreuse. Il pleut immensément; et j’entends
seul, au milieu de la solitude mouillée, un cri d’oie.
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La Nuit A La Vérandah.

Certains Peaux-Rouges croient que l’âme des enfants mort-nés habite la coque des
clovisses. J’entends cette nuit le choeur ininterrompu des rainettes, pareil à
une élocution puérile, à une plaintive récitation de petites filles, à une
ébullition de voyelles.

-J’ai longuement étudié les moeurs des étoiles. Il en est qui vont seules,
d’autres montent par pelotons. J’ai reconnu les Portes et les Trivoies. A
l’endroit le plus découvert gagnant le point le plus haut Jupiter pur et vert
marche comme un veau d’or. La position des astres n’est point livrée au hasard;
le jeu de leurs distances me donne les proportions de l’abîme, leur branle
participe à notre équilibre, vital plutôt que mécanique. Je les tâte du pied.

-L’arcane, arrivant à la dernière de ces dix fenêtres, est de surprendre à
l’autre fenêtre au travers de la chambre térrébreuse et inhabitée un autre
fragment de la carte sidérale.

-Rien d’intrus ne dérangera tes songes, tels célestes regards n’inquiéteront
point ton repos au travers de la muraille, si, avant de te coucher, tu prends
soin de disposer ce grand miroir devant la nuit. La Terre ne présente pas aux
astres une mer si large sans offrir plus de prise à leur impulsion et son
profond bain, pareil au révélateur photographique.

-La nuit est si calme qu’elle me parait salée.
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Le Porc.

Je peindrai ici l’image du Porc.

C'est une bête solide et tout d’une pièce; sans jointure et sans cou, ça fonce
en avant comme un soc. Cahotant sur ses quatre jambons trapus, c’est une trompe
en marche qui quête, et toute odeur qu’il sent, y appliquant son corps de pompe,
il l’ingurgite. Que s’il a trouvé le trou qu’il faut, il s’y vautre avec
énormité. Ce n’est point le frétillement du canard qui entre à l’eau, ce n’est
point l’allégresse sociable du chien; c’est une jouissance profonde, solitaire,
consciente, intégrale. Il renifle, il sirotte, il déguste, et l’on ne sait s’il
boit ou s’il mange; tout rond, avec un petit tressaillement, il s’avance et
s’enfonce au gras sein de la boue fraîche; il grogne, il jouit jusque dans le
recès de sa triperie, il cligne de l’oeil. Amateur profond, bien que l’appareil
toujours en action de son odorat ne laisse rien perdre, ses goûts ne vont point
aux parfums passagers des fleurs ou de fruits frivoles; en tout il cherche la
nourriture: il l’aime riche, puissante, mûrie, et son instinct l’attache à ces
deux choses, fondamental: la terre, l’ordure.

Gourmand, paillard, si je vous présente ce modèle, avouez-le: quelque chose
manque à votre satisfaction. Ni le corps ne se suffit à lui-même, ni la doctrine
qu’il nous enseigne n’est vaine. « N’applique point à la vérité l’oeil seul,
mais tout cela sans réserve qui est toi-même. » Le bonheur est notre devoir et
notre patrimoine. Une certaine possession parfaite est donnée.

-Mais telle que celle qui fournit à Enée des présages, la rencontre d’une truie
me paraît toujours augurale, un emblème politique. Son flanc est plus obscur que
les collines qu’on voit au travers de la pluie, et quand elle se couche, donnant
à boire au bataillon de marcassins qui lui marche entre les jambes, elle me
paraît l’image même de ces monts que traient les grappes de villages attachées à
leurs torrents, non moins massive et non moins difforme.

Je n’omets pas que le sang de cochon sert à fixer l’or.
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Jardins.

Il est trois heures et demie. Deuil blanc: le ciel est comme offusqué d’un
linge. L’air est humide et cru.

J’entre dans la cité. Je cherche les jardins.

Je marche dans un jus noir. Le long de la tranchée dont je suis le bord
croulant, l’odeur est si forte qu’elle est comme explosive. Cela sent l’huile,
l’ail, la graisse, la crasse, l’opium, l’urine, l’excrément et la tripaille.
Chaussés d’épais cothurnes ou de sandales de paille, coiffés du long capuce du
foumao ou de la calotte de feutre, emmanchés de caleçons et de jambières de
toile ou de soie, je marche au milieu de gens à l’air hilare et naïf.

Le mur serpente et ondule, et sa crête, avec son arrangement de briques et de
tuiles à jour, imite le dos et le corps d’un dragon qui rampe; une façon, dans
un flot de fumée qui boucle, de tête le termine. -C’est ici. Je heurte
mystérieusement à une petite porte noire: on ouvre. Sous des toits surplombants,
je traverse une suite de vestibules et d’étroits corridors. Me voici dans le
lieu étrange.

C’est un jardin de pierres. -Comme les anciens dessinateurs italiens et
français, les Chinois ont compris qu’un jardin, du fait de sa clôture, devait se
suffire à lui-même, se composer dans toutes ses parties. Ainsi la nature
s’accommode singulièrement à notre esprit, et, par un accord subtil, le maître
se sent, où qu’il porte son oeil, chez lui. De même qu’un paysage n’est pas
constitué par de l’herbe et par la couleur des feuillages, mais par l’accord de
ses lignes et le mouvement de ses terrains, les Chinois construisent leurs
jardins à la lettre, avec des pierres. Ils sculptent au lieu de peindre.
Susceptible d’élévations et de profondeurs, de contours et de reliefs, par la
variété de ses plans et de ses aspects, la pierre leur a semblé plus docile et
plus propre que le végétal, réduit à son rôle naturel de décoration et
d’ornement, à créer le site humain. La nature elle-même a préparé les matériaux,
suivant que la main du temps, la gelée, la pluie, use, travaille la roche, la
fore, l’entaille, la fouille d’un doigt profond. Visages, animaux, ossatures,
mains, conques, torses sans tête, pétrifications comme d’un morceau de foule
figée, mélangée de feuillages et de poissons, l’art chinois se saisit de ces
objets étranges, les imite, les dispose avec une subtile industrie.

Le lieu ici représente un mont fendu par un précipice et auquel des rampes
abruptes donnent accès. Son pied baigne dans un petit lac que recouvre à demi
une peau verte et dont un pont en zigzag complète le cadre biais. Assise sur des
pilotis de granit rose, la maison-de-thé mire dans le vert-noir du bassin ses
doubles toits triomphaux, qui, comme des ailes qui se déploient, paraissent la
lever de terre. Là-bas, fichés tout droit dans le sol comme des chandeliers de
fer, des arbres dépouillés barrent le ciel, dominent le jardin de leurs statures
géantes. Je m’engage parmi les pierres, et par un long labyrinthe dont les
lacets et les retours, les montées et les évasions, amplifient, multiplient la
scène, imitent autour du lac et de la montagne la circulation de la rêverie,
j’atteins le kiosque du sommet. Le jardin paraît creux au-dessous de moi comme
une vallée, plein de temples et de pavillons, et au milieu des arbres apparaît
le poème des toits.

Il en est de hauts et de bas, de simples et de multiples, d’allongés comme des
frontons, de turgides comme des sonnettes. Ils sont surmontés de frises
historiées, décorés de scolopendres et de poissons: la cime arbore à
l’intersection ultime de ses arêtes, -cerf, cigogne, autel, vase ou grenade
ailée, -emblème. Les toitures dont les coins remontent, comme des bras on relève
une robe trop ample, ont des blancheurs grasses de craie, de noirs de suie
jaunâtres et mats. L’air est vert, comme lorsqu’on regarde au travers d’une
vieille vitre.

L’autre versant nous met face au grand Pavillon, et la descente qui lentement me
ramène vers le lac par des marches irrégulières gradue d’autres surprises. A
l’issue d’un couloir, je vois les cinq ou six cornes du toit dont le corps m’est
dérobé pointer en désordre contre le ciel. Rien ne peint le jet ivre de ces
proues fées, la fière élégance de ces pédoncules fleuris qui dirigent
obliquement vers la nue chagrine un lys. Pourvue de cette fleur, la forte
membrure se relève comme une branche qu’on lâche.

J’ai atteint le bord de l’étang, dont les tiges des lotus morts traversent l’eau
immobile. Le silence est profond comme dans un carrefour de forêt l’hiver.

Ce lieu harmonieux fut construit pour le plaisir des membres du « Syndicat du
commerce des haricots et du riz », qui, sans doute, par les nuits de printemps,
y viennent boire le thé en regardant briller le bord inférieur de la lune.

L’autre jardin est plus singulier.

Il faisait presque nuit, quand, pénétrant dans l’enclos carré, je le vis jusqu’à
ses murs rempli par un vaste paysage. Qu’on se figure un charriement de rochers,
un chaos, une mêlée de blocs culbutés, entassés là par une mer en débâcle, une
vue sur une région de colère, campagne blême telle qu’une cervelle divisée de
fissures entre-croisées. Les Chinois font des écorchés de paysages. Inexplicable
comme la nature, ce petit coin paraissait vaste et complexe comme elle. Du
milieu de ces rocailles s’élevait un pin noir et tors; la minceur de sa tige, la
couleur de ses houppes hérissées, la violente dislocation de ses axes, la
disproportion de cet arbre unique avec le pays fictif qu’il domine, -tel qu’un
dragon qui, fusant de la terre comme une fumée, se bat dans le vent et la nuée,
-mettaient ce lieu hors de tout, le constituaient grotesque et fantastique. Des
feuillages funéraires, çà et là, ifs, thuyas, de leurs noirs vigoureux,
animaient ce bouleversement. Saisi d’étonnement, je considérais ce document de
mélancolie. Et du milieu de l’enclos, comme un monstre, un grand rocher se
dressait dans la basse ombre du crépuscule comme un thème de rêverie et
d’énigme.
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