Ils parlèrent de leur enfance et de l’enfance des parents de leurs parents. Ils dirent les grandes peurs de jadis. La terreur des bergers, les troupeaux décimés, les moutons énormes égorgés par les fauves et les carcasses laissées à la lisière des forêts. Les agneaux disparus, emportés au fond des bois pour y être dévorés jusqu’au dernier os. Ils évoquèrent le souvenir des meilleurs chiens tués par les loups. Tout revivait, la fuite des bergers et la détresse des fermiers.
Ce vent qui cillait, durant neuf jours et neuf nuits, hurler à l’angle des toitures et dans les vastes sapinières, hurler comme une bête blessée pour lamenter la mort des loups.
Une véritable fusillade crépita. La belle louve était déjà morte que les armes crachaient encore du plomb. Fulga était tombée à trois foulées de son petit. Elle n’avait plus d’autre raison de vivre que d’assouvir la haine que les hommes avaient fait naître en elle.
Le vent, à cette époque, ne chantait pas la même chanson. Il poussait une plainte qui semblait faire écho aux hurlements des loups. La peur qui hantait les bergeries gagnait les demeures des humains. Ces voix venues du fond des clairières vernies de lune glaçaient le sang dans les veines des adultes comme dans celles des enfants. La haine du loup prenait sa place dans la vie des hommes. Elle y entrait pour toujours.
Il savait que les hommes détiennent le pouvoir de frapper de loin. Il avait vu l’éclair rouge des armes. Il avait même, à deux reprises, entendu miauler à ses oreilles des guêpes plus dures que pierre et plus rapides que le martinet. Berg eut cent fois préféré un combat avec des ours ou des milliers de vipères rouges qu’une rencontre avec un seul homme
Ils ne savaient pas qu'il étaient entrés dans des pays où les chasseurs sont nombreux.
Plus vite que les loups, courait le bruit de leur présence.
Les plus courageux répétaient toujours que c’était une folie que de vouloir affronter cet étrange animal dont toute la force est dans le feu qui tue de loin. Contre cette force-là, nul loup ne peut rien.
À mesure que les vieux se souvenaient à haute voix, d’autres histoires plus anciennes, plus terribles encore, renaissaient en leur mémoire. La peur gagnait d’heure en heure en cette nuit que les récits reliaient directement aux années si longtemps oubliées.