-Et grand-père, où qu'il est?
C'est Adrien, l'aîné des trois, qui pose cette question en regardant vers la sortie.
Les larmes de Léa s'assèchent aussi vite que le lit d'un oued traversé par une crevasse. La voix cesse de trembler:
-Ton grand-père, mon pauvre petiot, pour le sortir de son trou, celui-là, faudrait l'enfumer comme on fait aux putois. En hiver: trop froid. En été: trop chaud.
Ca ne sert à rien d'être toujours à grincher contre le progrès.
La cour est ensoleillée comme en plein été. Au fond, par-delà une barrière déglinguée et une petite grille peinte au minimum, le jardin d'Henri Gueldry porte déjà une toison qui annonce l'hiver. Dominant les herbes et les quelques salades montées, des roses et des dahlias égrènent un petit carillon lumineux.
Pauvre Lolotte! Si elle voyait son jardin dans cet état!...Léa l'a répété cent fois à son vieux maboul de beau-frère: il ferait mieux de le donner à cultiver. Il a peur qu'on lui brûle sa terre avec du chimique. La terre, quand on lui en mettra deux mètres sur le ventre, on ne lui demandera pas si elle est chimique.
-Vieux serin, va!
- Après tout, si ça vous fait plaisir, vous pouvez bien avoir déjeuné avec Jeanne d'Arc.
Très sérieux, Henri réplique :
- Je n'ai jamais prétendu pareille chose !
Léa se lève.
- Il est déjà neuf heures, c'est largement temps d'aller se coucher. Tout ce qu'on vient de ressasser ne nous rajeunit pas, ni vous ni moi.