J'évoque les animaux les plus visibles. Mais il existe un monde considérable dont la présence nous échappe, composé d'êtres silencieux, imperceptibles, lents, parfois mimétiques, absents aux regards de notre prédation, mais qui entre eux se connaissent, s'évitent, se pourchassent. Ce monde nous côtoie sans que nous en ayons conscience.
Le projet humain, conscient ou inconscient, se définit en peu de mots : mourir sous les richesses.
Les visions fatalistes, tout comme la position darwinienne — évolution par pression sélective : la nature invente, le milieu sanctionne —, laissent entendre que tout est joué d'avance ; les plus forts gagnent, les autres crèvent. Les mieux construits pour durer durent, les plus faibles traversent la vie en éphémère. Rien ne peut mieux satisfaire le libéralisme ambiant : on ne s'encombre pas des handicaps, des lenteurs et des retards. Il faut aller vite, réussir.
Réussir quoi ?
La position transformiste, au contraire, laisse ouvert le champ du possible. Au cours de sa vie l'être, quel qu'il soit — végétal, animal, humain — trouve une chance de se modifier (par désir propre ou par pression extérieure) ; il se transforme. Cette transformation enregistrée se transmet aux générations suivantes. Pour l'humain, "animal conscient", cela forge un projet, un territoire mental d'espérance.
Un jardin.
Pour mon travail de jardinier, je tiens éclairés au-dessus du chantier quelques esprits connus : Tournefort, Linné, Laborit, Lamarck et d'autres plus intimes disposés en vrac. Je me réfère chaque fois que nécessaire, ne sachant pas à cet instant si je leur dois ou si je leur rend quelque chose.