Lire le Serment du passeur, c'est un peu comme jouer à colin-maillard. On se laisse bander les yeux, persuadé qu'on est plus fort que tout le monde et qu'on ne se perdra de toute façon jamais. Mais une fois privé d'un de ses sens, l'environnement parait soudain bien inconfortable. Avec cet étonnant roman,
Frédéric Clémentz se joue de nos certitudes.
L'histoire commence par ce qui semble être la préparation d'une vengeance de la part d'un homme brisé. Les premières pages nous plongent dans une atmosphère ultra sombre, nourrie des pires horreurs dont est capable le genre humain : séquestration, viol, maltraitance... avec en filigrane un sujet fort : haine de la différence.
Puis on bascule dans un toute autre monde, comme de l'autre côté du miroir, où ce qu'on imaginait être la réalité n'est en fait que le fruit d'une activité cérébrale biaisée. On pense d'abord à une forme de bi-polarisation du héro, mais non. Car cet homme que l'on croyait fragile aussi bien psychiquement que physiquement est en fait un auteur à succès tombé dans le coma à la suite d'un accident malheureux.Y est abordé un sujet étonnant, qu'on a peu l'habitude de lire dans les polars : comment notre cerveau fonctionne-t-il dans un état comateux? Protégé par cette barrière d'inconscience le héro s'invente une réalité déformée dans laquelle se mêlent des quotidiens loufoques, à la limite de la folie. Comme dans un rêve, le subconscient reprend ses droits. On se sent comme catapulté dans un univers très paradoxal. Alors on s'interroge sur la puissance du cerveau ; ces étranges connexions faîtes avec la vrai vie et la manière dont notre matière grise l'interprète. On se sentirait presque menacé par notre propre corps.
Et alors même qu'on pense avoir la clé de l'histoire, alors même qu'on pense avoir saisi les fondements de l'intrigue, un ultime bouleversement survient pour nous dérouter davantage.
Frédéric Clémentz maîtrise l'art de préserver le suspense jusqu'au bout et pour un si petit roman, c'est un joli coup. Ce texte m'a dérouté, baladé, perdu et c'est très exactement ce que j'attends d'un roman : être bousculée. L'intrigue basée sur l'activité cérébrale des gens dans le coma est un sujet fort et inattendu. La manière dont il est amené surprend, dérange et ce sentiment n'est qu'accentué par le style franc et direct de l'auteur. J'ai été séduite par cette écriture poétique et imagée malgré l'ardeur terrifiante des mots. Surtout, j'ai été ravie de percevoir une telle justesse derrière le sarcasme et l'ironie.
Frédéric Clémentz trouve des mots avec une précision d'orfèvre. Un vrai travail de rédaction, une richesse dans le vocabulaire comme on en voit désormais peu.
L'épopée inconsciente d'Antoine Drévaille laisse le lecteur interdit, comme privé de ses repères, mais ce n'est que pour mieux l'inviter à porter un regard nouveau sur son destin. Passionnément déroutant.
MA NOTE
15/20
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