Citations sur Marcher à l'estime (31)
J'ai souvent ce sentiment très fort de traîner derrière moi des nostalgies de trois ou quatre vies.Suis je captif encore des livres lus, des discussions trop fréquentes d'un métier de bavard ? Je ne sais pas, je ne peux plus faire la part des choses, des emprunts, du jeu des références et des renvois d'idées, de lieux, d'anecdotes. Fou ce qu'on traverse en soi, fou ce qu'une vie entasse, ramasse. Mes collections d'objets de nature sont d'un bien faible rapport à ces empilements- là.
( p.126 / Le Temps qu'il fait,1993)
Les livres de nos Grands Collectionneurs sont nos pierres de longévité. Ils nous aident à vivre,posés et repris dans ce rangement d'éternité pratique que sont nos bibliothèques. Ils sont alors nos vraies sources,nos surprises revenues,où raviver l'inconstante prière que sait être quelquefois la lecture.(p.123)
Ramasser une pierre, la tourner dans ses paumes, la réchauffer, la vernir un peu ainsi, c’est déjà s’approprier une part que l’on sait bientôt manquante : celle de son être seul au monde, comblé, sans demande.
Ramasser une pierre, la tourner dans ses paumes, la réchauffer, la vernir un peu ainsi, c’est déjà s’approprier une part que l’on sait bientôt manquante : celle de son être seul au monde, comblé, sans demande. Cette expérience est une émotion de lumière. Elle nous lave. Il faut la renouveler autant de fois qu’on peut. Marcher ainsi quelquefois pieds nus dans l’herbe, s’en laisser caresser, détendu, sur un plateau aux touffes rases, sans crainte ni des serpents ni des épines, savoir que, ce jour précisément, tout est au mieux, qu’il ne peut pas y avoir de place pour l’ombre, pour la contradiction. L’odeur chauffée des acacias refroidit lentement sur le soir, vrai miel de cette herbe foulée. La poussière protège vos pieds. Aucune emphase. Marcher, s’étendre, se lever, regarder autour de soi et très loin, au-delà de toute envie de voir et de saisir. Ne pas essayer de ramener à soi quoi que ce soit même d’infime. Faire corps. Être léger et faire masse. D’autres fois, il faut tout regarder car nous pouvons tout perdre, irrémédiablement. Des œillets sauvages roses, égarés - se voulant vus, c’est certain, car isolés - vous arrêtent ; il faut alors s’asseoir ; rien n’est plus important pour l’heure. L’ail aussi est très beau et il embaume. J’aime retrouver les ancêtres, les premiers segments de la prèle emboîtés comme des bambous originels. Rêverie autour de la Salade Sauvage d’avant la sauce !
Caillois et Baltrusaitis
Ses ouvrages (*de Caillois) sur les pierres restent inégalés, ils constituent une suite de véritables traités chromatiques.La poésie fuse au coeur d'une description aux accents amoureux. Il y a du Champolion en lui, dans son art de l'observation des insectes, des traces, de l'écriture perdue des cryptogrammes dessinés dans des troncs d'arbres.
(...)
J'ai eu de la chance, il y a vingt ans, de pouvoir voir une partie de ses collections exposées à Vichy.Ce fut une révélation. (...) Sous les yeux, sa collection donnait enfin de la dignité à cette idée saugrenue de tout ramasser. Il y avait là aussi des toiles, des lettres à des écrivains, toute la richesse d'une vie.Ce croisement des chemins entre l'histoire naturelle et la littérature m'apparaissait d'emblée au coeur de ce que je cherchais.
( Le Temps qu'il fait, 1993 / réédition 1995, p.119)
Construisons donc des châteaux de sable.Il en est de magnifiques, et l'on peut passer maître en de telles activités. La mer peut même, quand elle est apaisée, en épouser les remparts et les remblais.Elle joue aussi depuis toujours à ces reflux, un jeu de vie et de mirt perpétuant le Monde.
( Le Temps qu'il fait, réédition 1995, p.145)
Que le monde soit étonnant, certes.Je le croyais bizarre, et plus : inattendu, surprenant, insolite, excentrique, paradoxal, improbable, singulier, merveilleux, miraculeux, fauleux, unique et stupéfiant. Je ne crois pas en finir !
Lui non plus !
Il y aura toujours du gui sur l'arbre.La nature est un panier percé d'où nous naissons, mais combien d'entre nous s'en souviennent ? C'est pourquoi nous ne lui épargnons rien, trop pressés d'en piller les fruits.
( Le Temps qu'il fait, 1993, réédition 1995, p.145)
Je cherche aussi la compagnie d'infimes compagnies de plantes grasses, la solitude des saxifrages, ces fleurs qui parviennent à casser les rochers comme le laisse croire leur étymologie. J'aime ce qui pousse dans l'éboulis, ce qui pourrait aimer les pires étiages, et les difficultés pratiquement pour elles-mêmes. Ce sont en principe des êtres vivaces aux couleurs décidées.
Ces inventions d'un art simple m'aident à traverser le monde avec des yeux neufs, attentifs à ses allusions et à ses pieds de nez.Aux aguets, tout nous semble éternel et transitoire.
( Le Temps qu'il fait, 1993, p.144)
J'aime aussi marcher dans le temps éclaté des villes. Dans cet enclos de pierres anciennes qu'est souvent leur centre.Dans ces dédales des squares et des terrasses, recomposant par mes pas l'agencement des monuments et des musées. J'aime ces grandes leçons d'histoire, ces manuels vivants..(...)
( Le Temps qu'il fait, réédition dans petite collection " Corps neuf", octobre 2023, p.89)