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Critique de ODP31


ODP31
18 décembre 2019
Par ici la sortie !
Ce roman, c'est le Mappy du Brexit, la carte Michelin de la transhumance de l'indécise Albion vers elle-même.
Les battements du coeur de l'Angleterre sont aussi anarchiques que ceux des personnages qui poursuivent Jonathan Coe depuis Bienvenue au Club et le Cercle Fermé. Après avoir fait trotter la famille Trotter dans les années Thatcher et Blair, il leur fait traverser la période Cameron, celui qui eut la lumineuse idée, tous phares éteints, d'organiser le référendum qui aboutira au Brexit.
A défaut de prescrire un médicament efficace à son pays, l'auteur fait défiler la chronologie de ces dernières années et décrit les symptômes à cette crise à travers trois générations, toutes traversées par des fractures amoureuses, sociales et historiques.
Côté troisième âge… de pierre, Colin, récent veuf, qui ne comprend plus grand-chose au monde qui l'entoure, se replie dans ses souvenirs et Héléna, une belle mère possessive et acariâtre qui rejette tous ceux qui ne sont pas made in England.
Côté quinquas blasés et usés, il y a Benjamin, l'alter ego de l'auteur, écrivain mélancolique et désengagé qui suit le mouvement comme le spectateur d'un match entre deux équipes dont il n'est pas supporter. Sa soeur, Lois, est aussi restée bloquée dans l'ascenseur du passé et elle choisit la fuite pour retrouver un petit gout à la vie.
Le personnage le plus passionnant du roman est Sophie, jeune universitaire qui s'amourache d'un instructeur d'auto-école, Ian. Ils n'appartiennent pas au même monde : son compagnon lui reproche sa vision progressiste, elle craint sa dérive populiste.
Si vous rajoutez un clown désabusé, des jeunes idéalistes, un conseiller politique hors sol et un chroniqueur engagé, vous obtenez une jolie galerie de portraits d'un peuple qui parle la même langue mais qui ne se comprend plus. Des anglais qui ressemblent à des français. D'un côté, des intellectuels dopés aux grands principes, de l'autre, des sujets de sa gracieuse majesté qui ont l'impression que la Manche n'est plus assez étanche.
Jonathan Coe réussit à orchestrer ce choeur qui ne chante pas à l'unisson en articulant son récit autour des événements qui ont marqué son pays depuis 10 ans. Ils sont superbement abordés à travers le regard subjectif des différents personnages. Il décrit ainsi avec la même subtilité et la même émotion la communion de tous les Britanniques lors de l'ouverture de JO de 2012, les attentats de Londres, le choc causé par le meurtre en 2016 de Jo Cox, députée travailliste et le référendum.
Jonathan Coe est un romancier, pas un journaliste. Il ne s'agit pas d'une simple chronique politique dont les personnages ne seraient qu'un prétexte à défendre une opinion.
L'auteur ne cache pas son hostilité au Brexit mais il ne juge pas ses personnages. Il n'accable ni n'épargne personne. Il semble surtout intéressé par le temps qui passe et l'impact de ces bouleversements politiques sur la vie de ses personnages. Est-il possible de s'aimer quand on ne partage plus la même vision du monde ?
Tout cela serait vraiment trop sérieux si l'auteur n'était pas Jonathan Coe, romancier mélomane qui glisse une bonne dose d'humour et d'ironie dans des scènes improbables. Les échanges entre le journaliste Doug et sa taupe, conseiller politique de David Cameron atteignent des sommets dans le burlesque. Il parvient même à rendre une scène de panne sexuelle orgasmique.
C'est le roman du Brexit et du coeur blessé de l'Angleterre. J'ai adoré.

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