Angleterre, milieu des années 70. La sorcière
Thatcher est en pleine ascension, le climat social est tendu, les piquets de grève paralysent les usines, les flics tabassent les grévistes, les bombes explosent dans les pubs, les anglais détestent les irlandais, les irlandais, les gallois et les écossais détestent les anglais. Les gamins rêvent d'être rock critic au NME, les groupes de rock prog font des morceaux de 20 minutes tandis qu'émerge une nouvelle scène qui va ramener un peu de spontanéité et l'espèce d'urgence qui était l'essence du rock'n'roll des débuts. Les punk rockers sont pressés, pas le temps de s'éterniser dans des solos interminables, 2 minutes 30 joués pied au plancher et basta. Peu à peu, les pattes d'eph et les cheveux longs vont être remplacés par les blousons de cuir et les épingles à nourrice. le flower power a fait long feu, place à la provoc et aux cris de rage.
Vous voyez un peu le décor… Il faut dire que
Jonathan Coe le plante bien son décor dans «
Bienvenue au club ». On s'y croirait, c'est un vrai voyage dans le temps. Et c'est là la grande qualité du roman. Pour le reste, l'histoire racontée, c'est assez inégal, il y a du bon, du moins bon, du bouleversant et de l'ennuyeux. Bref, le pire et le meilleur réunis en un roman.
Comme je l'ai dit, la plus grande qualité de «
Bienvenue au club » c'est la façon dont il rend compte d'une époque, à la fois d'un point de vue socio-politique mais aussi à travers les considérations plus superficielles des personnages. Ce mélange apporte une véracité au décor tout à fait saisissante. Si Coe s'était contenté de brosser le portrait d'une époque à travers les événements politiques, il aurait manqué ce petit quelque chose qui permet au récit de sonner vrai. Voir des gamins discourir sur le dernier Captain Beefheart ou le double-album de Yes ou encore assister à un concert des Clash, les voir se dépêcher de rentrer chez eux pour mater Joanna Lumley dans « Chapeau melon et bottes de cuir » et lire
Tolkien… voilà qui rend le récit très immersif. Grâce à ce savant mélange de gravité et de frivolité, «
Bienvenue au club » est une véritable capsule temporelle. C'est l'aspect qui m'a le plus séduite dans le roman.
Quant à l'histoire, je l'ai dit en préambule, le meilleur côtoie le pire. C'est un peu normal. «
Bienvenue au club » est un roman foisonnant avec énormément de personnages et de fils narratifs. Et comme souvent, dans ce genre de récit aux multiples ramifications, le résultat est inégal. Certains personnages sont vraiment très bons, j'ai adoré le personnage de Benjamin par exemple, son histoire avec Cicely est formidable, très touchante dans la peinture intime pleine de vérité de l'extase du premier amour. D'autres protagonistes sont assez mal brossés. Par exemple, le personnage de Myriam est si peu intéressant que son histoire m'a laissée totalement indifférente. de la même façon, j'ai trouvé le personnage de Steve insipide tellement il est lisse et convenu. le seul truc qui ne va pas chez lui c'est qu'il est pauvre, sinon il est beau, intelligent, sympa, fort en sport, bon comédien… Et lui, il est gentil, et tout le monde est méchant avec lui parce qu'il est noir, beau, intelligent, sympa, fort en sport, bon comédien… Bref, vous avez compris, ça manque un peu de subtilité.
Certains arcs narratifs sont très réussis. Je pense notamment à l'histoire du chevelu et de la minette que j'ai trouvé très bien mené et qui a une véritable charge émotionnelle. En revanche, d'autres arcs sont ratés. Ainsi, l'épisode des vacances danoises est sans intérêt, un brin déconnecté du reste du récit et sonne faux. J'ai trouvé ce passage bien ennuyeux.
J'ai trouvé le principe du récit enchâssé, procédé que j'apprécie en général, assez mal amené. Je n'ai vu aucun intérêt aux passages se situant à notre époque. Je trouve que le roman aurait eu plus de force sans cette construction qui manque de naturel et de pertinence.
Je trouve aussi que le roman souffre aussi parfois d'un excès de bien-pensance. Je ne suis pas contre le fait que l'auteur ait des convictions et qu'il veuille les évoquer dans son récit mais ça manque parfois de finesse et de subtilité. J'ai parfois eu l'impression qu'on me disait « le racisme c'est pas beau ». Alors, c'est vrai, c'est pas beau mais je préfère quand un auteur fait passer le message de façon moins pataude et sans ce côté didactique qui me gonfle légèrement et me fait un peu sortir d'une histoire.
J'ai globalement passé un bon moment de lecture, assez immersif, parfois drôle, souvent émouvant. Je n'ai pas vu le temps passer, ce pavé de plus de 500 pages se lit très vite. Ceci dit, malgré toutes ses qualités, le roman me laisse sur une impression mitigée. Je garderai un agréable souvenir de cette lecture mais pas suffisamment pour me donner envie de lire la suite.