Les médias fabriquent déjà un monde sans femmes et "ils donnent, en plus l'impression qu'il y a bien moins d'homosexuels qu'en réalité"
Les médias fabriquent une réalité masculine, blanche, hétero et aggravent l'oppression sexiste déjà à l'œuvre dans la société.
Plus tard, ils pourront revenir.
Les noms claquent. Comme celui du groupe français « Les Gouines rouges ». Les slogans lesbiens ont le sens de la férocité. « 1 femme sur 2 SERA lesbienne : la 2e est DÉJÀ lesbienne », « Ni Dieu, Ni Mec » : pancartes de Bagdam Espace Lesbien à Toulouse. « Je suis votre pire terreur. Je suis votre meilleur fantasme », affiche de la photographe lesbienne Donna Gottschalk. « We are dykes, don’t touch us, we will hurt you » (Nous sommes gouines, ne nous touchez pas ou on vous fera mal) : chant collectif des Lesbians Avengers, devant la Maison Blanche, lors de la première Dyke March de 1993.
Les lesbiennes n’ont pas peur des hommes, elles n’essaient pas de flirter avec eux, de les flatter. Elles leur ont dit : écoutez-nous, vous êtes des idiots, on va vous expliquer comment vous y prendre. »
Nous nous cherchons en permanence des représentations. Il y en a peu. La culture lesbienne est une culture minoritaire. Je suis allée pendant des années dans des écoles, primaire ou grande, et je n’ai rien appris de la culture lesbienne. On m’a emmenée dans beaucoup de musées ou d’expositions, je ne l’ai pas davantage rencontrée. La transmission ne se fait pas, non plus, au sein d’un noyau familial. Il faut la trouver seule, en archéologue, ou grâce à d’autres lesbiennes.
Passage polémique :
À toutes, il nous faut des cottes de femmes, des « shield-maiden », (de shield, bouclier, et maiden, jeunes filles), nom donné aux mythiques guerrières vikings. Des escouades et des brigades pour nous défendre. Il ne suffit pas de nous entraider, il faut, à notre tour, les éliminer. Les éliminer de nos esprits, de nos images, de nos représentations. Je ne lis plus les livres des hommes, je ne regarde plus leurs films, je n’écoute plus leurs musiques. J’essaie, du moins. Yuri, elle, met depuis des décennies cette pratique à l’œuvre. L’autre jour, j’ai fait appel à son expertise transalpine et lui ai demandé au sujet d’un auteur français : « Lui, il est connu, il est big en Italie ? » Elle m’a répondu : « Je ne sais pas, le temps que j’ai, je le consacre aux femmes. » Les productions des hommes sont le prolongement d’un système de domination. Elles sont le système. L’art est une extension de l’imaginaire masculin. Ils ont déjà infesté mon esprit. Je me préserve en les évitant. Commençons ainsi. Plus tard, ils pourront revenir.
L'AJL a choisi de soutenir "Closer" lorsque le magazine publia des photos de Florian Philippot en week-end avec un mec. Son homosexualité n'avait jamais été énoncée dans la presse généraliste. On fait du mauvais journalisme politique si l'on suit le Front national sans raconter que son numéro 2 est gay. [...] Les magazines ne cessent d'exposer la vie privée des personnalités. Lorsqu'elles sont hétérosexuelles. Les nécrologies mentionnent les compagnes et compagnons de vie des personnes décédées. Lorsqu'elles sont hétérosexuelles.
Lorsqu'on met sous les yeux des journalistes le défilé des unes, rubriques, pages pleines de photos et propos d'hommes, leur justification première est toujours étonnante : "Ce n'est pas notre faute, on montre la réalité." Une réalité dans laquelle la moitié de la population a disparu et l'autre est devenue complètement blanche? Non, ils ne montrent pas la réalité. "La télévision qui prétend être un instrument d'enregistrement devient instrument de création de la réalité", écrivait Pierre Bourdieu (𝘚𝘶𝘳 𝘭𝘢 𝘵é𝘭é𝘷𝘪𝘴𝘪𝘰𝘯). Les médias fabriquent une réalité masculine, blanche, hétéro et aggravent l'oppression sexiste déjà à l'oeuvre dans la société.
Le 𝘕𝘦𝘸-𝘠𝘰𝘳𝘬 𝘛𝘪𝘮𝘦𝘴 a enquêté sur son propre service de nécrologies. "Depuis 1851, elles sont dominées par les hommes blancs", a pointé le quotidien. Il a omis la mort de Charlotte Brontë, auteure de Jane Eyre, d'Ida B. Wells, la première journaliste d'investigation à recenser les lynchages aux Etats-Unis, ou de la poétesse féministe Qiu Jin. Parmi les très rares femmes qui ont eu droit à une nécrologie, certaines étaient lesbiennes, mais ça n'a jamais été précisé. Cela vaudra à la chercheuse française Nelly Quemener cette phrase, point d'orgue de la distorsion de la réalité par ceux-là mêmes qui sont censés la livrer au monde : "Les lesbiennes sont immortelles."