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Citations sur La prospérité du vice (28)

La critique romantique du monde moderne vise la prétention de la science à gouverner les peuples, alors qu’elle est incapable de comprendre la souffrance de l’âme humaine. La science est dénoncée comme une pensée sans sagesse. Elle crée un monde déshumanisant, désenchanté par la disparition de la religion, reléguée au rang de superstition. Tourgueniev caricature son héros, Bazarov, dans Pères et fils, comme un adepte fanatique du scientisme, un utilitariste convaincu. Flaubert fait de même avec le pharmacien Homais.

Un autre versant des critiques contre le monde moderne s’entend aussi chez Marx, lorsqu’il reproche à la bourgeoisie d’avoir « noyé l’héroïsme dans les eaux glacées des calculs égoïstes ». Ce que Sombart, Oswald, Spengler, Jünger et autres intellectuels allemands du début du XXe siècle vont mépriser au plus haut point, c’est la lâcheté bourgeoise qui consiste à s’accrocher à la vie, à ne pas vouloir mourir pour des idées. Sombart utilise le terme de konfortismus pour décrire la mentalité bourgeoise. Heidegger part en guerre contre l’Amérikanismus, qui vide selon lui l’âme européenne. L’image du bourgeois paisible devient celle d’un lâche, aux antipodes du héros prêt à sacrifier sa vie. L’Occident est médiocre car il donne à chacun la possibilité d’être médiocre, selon l’écrivain nationaliste allemand Arthur Moeller van der Bruch. L’Occident est une menace car il diminue la valeur de toute utopie.
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Figure emblématique du passé, Clemenceau, c’est de lui qu’il s’agit, fait du traité de Versailles, ratifiant la défaite allemande, non pas la fin des guerres du XIXe siècle, mais le début de celles du XXe.

Clemenceau veut casser, une fois pour toutes, le dynamisme allemand. Il veut s’assurer que ne réapparaîtra jamais l’écart que l’Allemagne a creusé avec la France. Entre la création du Reich en 1871 et le début de la Première Guerre mondiale, la production industrielle allemande a été multipliée par cinq. Son dynamisme économique est sur tous les fronts. Le pays talonne l’Angleterre pour le commerce mondial. Sa position est particulièrement forte dans les industries modernes en pleine expansion, la chimie, les machines, l’industrie électrique. L’agriculture allemande connaît également une conjoncture favorable. Elle est pionnière dans la modernisation agricole avec l’utilisation d’engrais, la mécanisation et la pratique d’assolements sophistiqués.

Les Allemands observent avec ironie l’effondrement démographique de la France. En 1870, les deux nations avaient une richesse à peu près comparable ; en 1914, l’Allemagne l’emportait de plus de 70 %. L’ambition allemande se nourrira de cette supériorité économique nouvelle. Henrich Winkler, le grand historien allemand, résumera la situation ainsi : « L’Allemagne s’apprêtait à distancer économiquement l’Angleterre, la patrie de la révolution industrielle et de l’impérialisme. Le Reich comptait parmi les puissances scientifiques qui faisaient autorité dans le monde entier, peut-être est-il même le premier d’entre elles. Mais tout cela ne suffisait pas à la droite allemande. Grande puissance de longue date, l’Allemagne devait à présent devenir la puissance mondiale dirigeante. »

Telles sont la nation et l’ambition que Clemenceau veut briser.
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L’Europe au Xe siècle semble avoir tout perdu de ce qui faisait la gloire de Rome et d’Athènes. Elle a perdu l’essentiel de ses connaissances scientifiques, elle a régressé vers une situation de quasi-autarcie. Lorsqu’elle veut acheter des biens étrangers, le commerce des esclaves est bien souvent son seul produit d’exportation !
(...)
Au Xe siècle, les campagnes vivent encore refermées sur elles-mêmes, dans la hantise des menaces que font planer les Vikings au nord, les pillards musulmans ou hongrois au sud et à l’est, et les brigands venus des campagnes elles-mêmes au centre. La circulation des marchandises et des personnes est réduite à presque rien. Le château fort constitue à lui seul toute la société. Comme le résume Henri Mendras, dans La Fin des paysans : « L’Europe carolingienne était tout entière rurale. Point de villes, rien que des campagnes ; rien que des campagnes peuplées de paysans groupés en village autour du domaine du seigneur. » Elle donne aux seigneurs le monopole de la violence, qui leur permet de s’approprier le surplus agricole. Le prélèvement se fait en nature. Les plus riches doivent voyager d’un château à l’autre pour consommer sur place le vin et le gibier qui leur sont dus.
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Un facteur va jouer un rôle décisif dans la transformation de Rome en capitale de la servitude. À partir de la première des guerres contre Carthage, les guerres puniques, une masse d’esclaves comme on n’en avait jamais eu dans l’Occident antique commença à être employée de manière régulière. Ils sont autour de 600 000 à vivre en Italie vers 225 avant J.-C., sur une population qui ne devait pas dépasser les quatre millions. « Ce fut alors, écrit Schiavone, que les Romains connurent pour la première fois les bienfaits de leur richesse, à partir du jour où ils se furent rendus maîtres de cette population. »

Cette dynamique se renforce avec les conquêtes de Pompée puis de César. Grâce à la sécurité retrouvée sur les mers, un nouvel afflux d’esclaves se produit. On peut considérer que, sous Auguste, à la fin du Ier siècle avant J.-C., 35 % au moins de la population de l’Italie était composée d’esclaves. En acheter, dans la Rome impériale, ne coûtait pas cher : entre 1 000 et 2 000 sesterces à une époque où un patrimoine atteint facilement la dizaine de millions de sesterces. Entre le Ier et le IIe siècle avant J.-C., des milliers et des milliers de prisonniers furent cédés aux marchands qui suivaient les troupes et alimentaient le marché.
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La civilisation gréco-romaine d’où l’Occident chrétien devait naître est brillante. Rome, en l’an 100 avant J.-C., était mieux équipée en routes pavées, en égouts, en alimentation ou en eau que la plupart des capitales européennes en 1800.
(...)
Pour tout ce qui touche à la vie économique stricto sensu, le millénaire occidental qui va de – 500 à + 500 a été particulièrement pauvre. Selon l’historien des techniques Joel Mokyr, la société antique gréco-romaine n’a en fait jamais été très inventive d’un strict point de vue technologique. Elle a construit des roues à eau mais n’a pas véritablement utilisé l’énergie hydraulique. Elle maîtrisait la fabrication du verre et comprenait comment utiliser les rayons du soleil, mais n’a pas inventé les lunettes. Par rapport au grand bond qui se produisit entre le néolithique et l’âge du fer, avec la conquête des procédés fondamentaux de l’agriculture, de la métallurgie, de la céramique et du tissage, il est hors de doute qu’il y eut un ralentissement sous l’Empire gréco-romain. Dans le domaine agricole, on reste pour l’essentiel en deçà des grands travaux d’irrigation qui furent entrepris en Égypte ou en Mésopotamie. Dans le domaine industriel, l’Antiquité et le Moyen Âge sont très en retard sur les progrès accomplis en Chine.
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Au coeur du dynamisme européen se loge aussi le poison qui causera sa perte. Un cycle immuable est en place. À chaque fois qu'une puissance tend à dominer les autres, elle déclenche une coalition pour l'abattre. [...] La Première Guerre mondiale n'est pas un "accident de parcours" du système européen : elle en est le terme logique.
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Smith est ici philosophe autant qu’économiste. Le mot « intérêt » ne revêt pas encore, à l’époque où il l’utilise, la signification neutre qu’il a acquise depuis pour caractériser le calcul économique. Comme le montre brillamment Albert Hirschman, lui-même également économiste et philosophe, dans son livre Les Passions et les intérêts, c’est un terme qui a longtemps été synonyme de cupidité, figurant en bonne place dans L’Enfer de Dante au côté de l’orgueil et l’envie. Adam Smith, dans un ouvrage publié avant La Richesse des nations et intitulé Théorie des sentiments moraux, montre qu’il n’a aucune illusion sur la portée de ce terme. « Quel est l’objet de tout ce labeur et de tout ce remue-ménage qui se font ici-bas ? Quel est le but de l’avarice, de l’ambition, de la poursuite des richesses, du pouvoir, des destructions ? D’où naît cette ambition de s’élever qui tourmente toutes les classes de la société et quels sont donc les avantages que nous attendons de cette fin assignée à l’homme et que nous appelons l’amélioration de notre condition ? » La réponse proposée par Smith est ce que, suivant Hegel, on appellerait le désir du désir de l’autre. « Nous n’espérons d’autres avantages que d’être remarqués et considérés, rien que d’être regardés et considérés, rien que d’être regardés avec attention, avec sympathie et approbation. Il y va de notre vanité, non de nos aises ou de notre plaisir. »

Ce qui distingue la cupidité des autres passions tient toutefois en une différence essentielle. Bien dirigée, elle peut contribuer au bien public, alors que les autres passions sont destructrices. L’auteur qui inspire Smith est Bernard Mandeville, qui a publié en 1705 une Fable des abeilles, dont le sous-titre est éloquent : vices privés, vertus publiques. La conclusion de la Fable a valeur de programme : « Le vice est aussi nécessaire dans un État florissant que la faim est nécessaire pour nous obliger à manger. Il est impossible que la vertu, seule, rende jamais une nation célèbre et glorieuse. » En montrant que l’ambition, la vanité et le besoin de considération peuvent être assouvis par l’amélioration des conditions matérielles, Smith peut énoncer sa théorie de « la main invisible », selon laquelle « sans aucune intervention de la loi, les intérêts privés et les passions des hommes les amènent à diviser et à répartir le capital […] dans la proportion qui approche le plus possible de celle que demande l’intérêt général ».

Il n’est plus utile, dès lors, de s’interroger sur les mobiles moraux qui conduisent les hommes à vouloir s’enrichir, il suffit de se concentrer sur leurs conséquences. Le marché n’a nullement besoin de savoir où sont le bien et le mal, il se contente de mesurer l’effort que chacun est disposé à fournir pour s’enrichir.
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Cette loi dite de Malthus a fait couler beaucoup d’encre, mais a finalement résisté à l’examen de ses critiques. Grâce aux travaux des historiens de l’économie, on peut évaluer en dollars ou en euros d’aujourd’hui le revenu qui a prévalu au cours des siècles. Le niveau de vie d’un esclave romain n’est pas significativement différent de celui d’un paysan du Languedoc au XVIIe siècle ou d’un ouvrier de la grande industrie du début du XIXe. Il est proche de celui des pauvres du monde moderne : autour de un dollar par jour. L’espérance de vie donne une indication convergente. En moyenne, elle reste proche de trente-cinq ans tout au long de l’histoire humaine, aussi bien pour les chasseurs-cueilleurs, tels qu’on les observe aujourd’hui dans les sociétés aborigènes, que pour les premiers ouvriers de l’industrie moderne, à l’aube du XIXe siècle. L’examen des squelettes montre aussi que les conditions matérielles (telles que mesurées par la taille) ne devaient guère être très différentes à l’époque des chasseurs-cueilleurs et à l’aube du XIXe siècle.

La loi de Malthus invalide les catégories habituelles du bien et du mal. La vie à Tahiti, par exemple, est paradisiaque, mais grâce à un infanticide à haute dose. Plus des deux tiers des nouveau-nés étaient instantanément tués, en les étouffant, en les étranglant ou en leur brisant le cou. Tout ce qui contribue à accroître la mortalité se révèle en effet une bonne chose, car elle réduit la compétition pour les terres disponibles. L’hygiène publique, à l’inverse, se retourne contre les sociétés qui la respectent. Si l’Européen est en moyenne plus riche que le Chinois au début du XVIIIe siècle, c’est parce qu’il est sale. À son plus grand profit, l’Européen ne se lave pas, alors que le Chinois ou le Japonais se baigne chaque fois que possible. Les Européens, quelles que soient les classes sociales, ne trouvaient rien à redire à des toilettes adjacentes à leurs habitations, en dépit des problèmes d’odeur. Les Japonais sont en comparaison des modèles absolus de propreté. Les rues sont régulièrement lavées, on enlève ses chaussures avant d’entrer chez soi… Ce qui explique qu’ils soient plus nombreux, et plus pauvres. C’est le règne de la prospérité du vice.
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