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Critique de HordeDuContrevent


Sylvain Coher est indéniablement un exceptionnel auteur contemporain de récits maritimes. « Nord-Nord-Ouest », qui a reçu le prix du Festival Étonnants voyageurs en 2015, est certes moins original que son dernier livre, l'incroyable « Étraves », mais il n'en reste pas moins puissant et magnétique, et est serti de descriptions maritimes qui font de Sylvain Coher le digne héritier d'un Pierre Loti, d'un Hemingway ou encore d'un Jack London.

Le titre interpelle immédiatement car il correspond au titre original en anglais du film d'Alfred Hitchcock « La mort aux trousses » qui est en effet « North by Northwest » signifiant en français littéral « Nord-Nord-Ouest ». Mais la direction « Nord-Nord-Ouest » n'existe tout simplement pas, c'est une destination vers nulle part, un voyage sans but. Il existe bien une direction « northwest by north » qui correspond au français à « nord-ouest-quart-nord ».
Une direction qui n'existe pas s'inspirant d'un film d'Hitchcock, un des protagonistes s'appelant Lucky…nous devinons assez vite là où Sylvain Coher veut nous amener. Mais comme tous voyages, ce n'est pas la destination qui compte mais le voyage pour y arriver et, en la matière, la référence à Hitchcock est évidente tant le livre est haletant, frisant par moment avec l'horreur, l'onirisme ou encore le fantastique.

« L'horizon défait se perdait dans la découpe des vagues, comme la ligne de crête d'un massif montagneux. Slangevar grimpait sur des lames plus hautes que lui et retombait chaque fois plus bas qu'ils ne pouvaient le prévoir. Repartait à l'assaut pour parvenir tant bien que mal dans le tremblant. L'étrave recevait toujours la même claque. Puissante, infatigable. le son lugubre se répercutait en vibrant dans les estomacs, tandis qu'un bouquet dentelé fusait dans une gerbe verglacée. L'équilibre au sommet ne durait qu'un court instant, mais il permettait de voir l'étendue du désastre. Un véritable champ de bataille ».

L'auteur est parti d'un fait divers, vieux de plusieurs années, qui l'avait interpelé naviguant lui-même en mer avec un petit voilier du côté de Saint Malo. Une histoire de voilier volé retrouvé en Irlande ou en Écosse, voilier bien trop petit pour naviguer jusque là-bas, sous-équipé pour affronter un territoire maritime réputé très difficile. Des voleurs sans doute inexpérimentés, ayant réussi à traverser la manche et une partie de l'océan Atlantique au périple de leur vie, chanceux sans aucun doute. C'est ce voyage incroyable que Sylvain Coher, désireux de porter son nom parmi les multiples et foisonnants récits maritimes, a tenté de retracer. Et c'est une réussite !

Deux jeunes garçons, Lucky et « le Petit », des garçons en errance, déscolarisés, sont en fuite depuis l'Italie où ils ont été mêlés à une tragique histoire et traversent la France en diagonale, De Marseille à Saint Malo. Leur but est de rejoindre l'Angleterre pour s'éloigner le plus possible du Sud où ils pensent être sans aucun doute recherchés. Ils vivent de vols, vols à l'étalage, vols dans les voitures forcées à coup de barres de fer. A Saint Malo, Lucky s'éprend d'une adolescente à l'allure gothique avec ses cheveux noirs et son rouge à lèvre de la même couleur, dont nous ne connaitrons que le surnom de « La Fille ». Elle rejoint ainsi le groupe, semblant fuir elle aussi ses démons, déclenchant le trouble chez le Petit, à la fois jaloux puisqu'il doit tenir la chandelle entre les deux tourtereaux et partagé avec elle son meilleur ami, et perturbé par cette promiscuité féminine. le roman démarre sur l'errance du trio dans la ville grise dont l'océan est bien différent de la mer Méditerranée auprès de laquelle les deux garçons ont grandi.

« La Manche, c'était autre chose. Une eau de lessive, un fond d'évier. Avec ça, une perpétuelle odeur de marée basse et des moisissures venues des fonds croupis où la vase fermente et macère. le Petit la regardait venir et repartir, avec cet air méfiant qu'il pouvait prendre en d'autres circonstances. Au nord, la mer est aussi grise que les gens, songea-t-il ».

Ils cherchent un moyen de rallier la côte anglaise, semblant découvrir la problématique de la traversée de la Manche seulement en voyant la mer, obstacle pour pouvoir fuir la France, dernier rempart avant d'atteindre l'Angleterre. Alors que Lucky et le Petit sont totalement inexpérimentés, ne connaissant rien aux voiliers, aux techniques de navigation, aux cartes marines, aux instruments de navigation, Lucky, qui commande le trio étant le plus âgé, décide de voler un vieux voilier, un petit et vieux rafiot, une coquille de noix aux doux nom de Slangevar. Seule La fille a eu quelques cours rudimentaires de navigation enfant et connait ainsi les principes de base de la navigation en voilier, ainsi que le fonctionnement de quelques instruments. Elle se révélera durant la traversée et sera un membre primordial de l'équipage, faisant le lien entre les deux jeunes garçons communiquant souvent à coup d'insultes ou de menaces.

Le voyage devait durer deux jours…et il va s'éterniser. le bateau est une prison sans mur, dessus ils vont affronter des tempêtes, un océan déchainé, des vagues gigantesques devenant de hauts murs où l'eau est aussi dure que la pierre, des cargos menaçants, la promiscuité, la peau rongée par le sel, l'incessant mal de mer, les furoncles, les nuits interminables et angoissantes peuplées de chants de sirène et d'hallucinations, les graves blessures, la faim et la soif, sans oublier le froid et l'humidité omniprésente. le trio pensait fuir un enfer, il va vivre un autre enfer.

« Faut avoir navigué pour savoir prier ».

Durant ma lecture, j'avais l'impression d'être ballotée par les flots, d'être sur ce petit bateau et de ressentir les sentiments ambivalents par lesquels passe tour à tour chacun des adolescents. L'espoir, puis la prise de conscience progressive de l'absurdité de leur aventure, la frayeur, le désespoir mais aussi un sentiment de liberté absolue et d'invincibilité, de découverte de soi dans cet environnement austère et dangereux, vaste territoire sans autre limite que sa propre résistance, nous semblons vivre tout cela au plus près d'eux, avec eux. La mer, aussi belle que dangereuse, confronte chacun aux deux autres et à ses propres démons, elle crée une atmosphère de tensions et d'entraide mêlées. Cette atmosphère est par ailleurs propice pour connaitre et s'attacher aux personnages, pourtant sans prénom dont les surnoms seuls nous donnaient en début de lecture un sentiment de vide.

« La mer était noire, sa surface feuilletée semblait dure comme l'ardoise. Slangevar y mordait nerveusement, à croire qu'il était pris par les mêmes tourments ».

Comme dans Étrave, il y a un moment où le roman bascule, une touche fantastique très légère mais bien présente, durant lequel l'auteur prend une certaine liberté et nous laisse pantois avec nos questions…Alors que dans Étraves, cette pointe de fantastique était portée, me semble-t-il, par le personnage féminin dénommée Furieuse, ici c'est La Fille qui finalement se révèle être plus mystérieuse qu'elle n'en a l'air tout au long du roman. Nous la prenons pour une fille paumée qui s'est laissée embarquée par deux voyous, elle va se révéler étonnamment mature et nous nous demandons même à la fin du livre si elle a vraiment existé, s'il ne s'agit pas d'un personnage fictif, une sirène notamment, un personnage fantasmé permettant aux deux garçons de tenir…J'aime beaucoup cette pointe mystérieuse, cette touche d'étrangeté que se permet d'instiller l'auteur.


Ce livre est ainsi un huit clos maritime, un « oceanmovie » oppressant, à la poésie vénéneuse, dans lequel Sylvain Coher entremêle avec brio la technicité précise de la navigation maritime, le suspense d'un drame annoncé, quelques touches de fantastique laissant subtilement le lecteur avec ses questions, sans oublier la beauté des images et la fluidité de la plume. le résultat est sublime et permet à ce voyage d'atteindre une véritable dimension philosophique.


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