Chaque jour je scrute la mer.
Après trois semaines, suivant le temps, je sais si les nouveaux arrivants vont arriver vivants ou non.
Beaucoup s'en sortent.
Beaucoup... non.
Je n'oublierai jamais.
Nous sommes tous des immigrés, il n'y a que le lieu de naissance qui change.
Il y a des règles de survie à Tripoli.
Rester à l'égard des gangs.
Cacher son argent dans un endroit sûr.
Ne pas boire l'eau des égouts.
Attentions aux chiens - certains ont la rage.
Se méfier des soldats.
Se méfier de la police.
Se méfier... de tout le monde.
Vous qui qualifiez les étrangers d' "illégaux", vous devez comprendre qu'aucun être humain n'est "illégal". C'est un contresens. Les êtres humains peuvent être beaux, voire très beaux, ils peuvent être gros ou minces, ils peuvent avoir raison ou tort, mais "illégal", comment un être humain peut-il être "illégal" ?
Elie Wiesel
Prix Nobel de la Paix
et Rescapé de l'Holocauste
- Ebo?Ebo? Tu vas à Agadez? Pourquoi?
- Je dois retrouver mon frère.
- Tu as de l'argent pour payer?
- Je peux trouver du travail à Agadez et payer la semaine prochaine.
- Je sais ce qui se passe avec ton oncle, mais je ne peux... Et puis le voyage n'est pas une partie de plaisir! On voyage toute la nuit et ce n'est pas agréable.
- Ça porte malheur de voyager en famille.
- Tu es trop superstitieux.
- Tout le monde sait qu'on ne met pas deux frères dans le même bateau. Le nom de famille doit survivre.
Nous n’avons ni eau, ni nourriture, ni essence.
Nous dérivons au gré des flots. Perdus et seuls.
- Nous allons mourir, c’est ça ?
- Ne dis pas ça Ebo. Il faut s’en sortir pour Sisi, elle nous attend.
- Ebo, chanter ne résout pas tous les problèmes.
Nous avons fait la traversée ensemble, Ebo, et nous bâtirons une nouvelle vie ensemble.
Nous avons pagayé toute la nuit. Pour rien.
Nous sommes épuisés.
Nous dérivons lentement sur une mer calme et lisse, comme un fétu de paille.