J'ai interviewé l'auteure de l'ensauvagé
Landry Barbeau : Bonjour
Héloïse Combes, pouvez-vous nous parler de vous et de votre démarche artistique ?
Héloise Combes : « J'ai trente-six ans, je suis maman de trois enfants, je chante, j'écris… Je vis une partie du temps dans le sud de la France, et l'autre partie dans le Berry, à Gargilesse. J'ai eu un coup de coeur pour cette région il y a maintenant douze ans. J'y suis venue rencontrer un ami, et j'ai eu l'impression d'avoir « trouvé mes racines » en arrivant là. Cet ami que j'adorais est mort il y a quelques années, et j'ai racheté sa maison. C'est une vieille maison pleine de fissures, mais je l'aime beaucoup, c'est mon havre de paix au milieu de la campagne. C'est dans le cadre de cette nature inspirante que se déroule mon dernier roman, l'ensauvagé. Avant d'écrire, j'ai eu un parcours de chanteuse, tout d'abord dans la musique classique, puis en composant mes propres chansons. J'ai aussi travaillé comme chef de choeur et professeur de chant. Puis mon goût pour la tranquillité et ma passion des lettres ont pris le dessus et je me suis centrée sur l'écriture. de toute façon, que je chante, que j'écrive des poèmes, des romans, des contes, ou que je prenne des photos avec mon vieil appareil argentique, je cherche toujours à exprimer la même chose : rendre hommage à la beauté de vivre et d'aimer.
L.B. : Comment vous est venue l'idée de votre dernier roman, l'ensauvagé ?
H.C. : Cela faisait longtemps que je voulais pouvoir exprimer ce que je ressens lorsque que je suis dans la nature berrichonne. Je le fais un peu à travers mes poèmes, mais là, j'ai pu longuement développer les descriptions, exprimer ce mystère et cette beauté que je ressens à regarder couler la Creuse, à écouter chanter le vent dans les arbres, à voir se lever le soleil ou les brumes… J'ai aussi pris plaisir à décrire avec tendresse et humour des « personnages locaux », des conversations au bistrot, la vie d'un village de campagne, ce temps comme ralenti… Je voulais créer un personnage qui exprime la liberté, le rêve, la poésie, c'est chose faite avec François, le héros du livre.
L.B. : Où avez-vous écrit ce livre ?
H.C. : En bonne partie installée sous la véranda de ma petite maison à Gargilesse. C'est un endroit calme avec de grandes baies vitrées qui ouvrent sur une vue magnifique : les toits du village en contrebas, le grand jardin, et les forêts en face. J'aime y allumer un feu dans le poêle et écrire là. Qu'il pleuve, qu'il vente, je suis à la fois abritée et au contact de la nature.
L.B. : François, le personnage principal de l'ensauvagé, communique avec les morts, aime fortement les arbres, soigne par l'apposition des mains. D'où vous sont venues ces idées ?
H.C. : Je trouve qu'il y a dans le Berry cet « air chargé de légendes et de mystère» qu'ont décrit bien d'autres écrivains et conteurs avant moi, cette sorte de sauvagerie, qui m'inspirent à moi même un rapport intime avec la vie végétale et animale. Je peux marcher des heures seule sur les chemins comme mon personnage, et ressentir les présences des arbres, des maisons abandonnées. Dans cette grâce de vivre, la vie et la mort vibrent d'une même énergie. François peut paraître énigmatique à beaucoup de gens, moi pas, je le comprends, c'est un personnage à la fois poète, illuminé, fantaisiste et attachant, je crois qu'il me ressemble un peu.
L.B. : Pourquoi avez-vous choisi les éditions Marivole ?
H.C. : l'ensauvagé a failli être accepté chez dans une «grande maison» parisienne. Il plaisait beaucoup à une des éditrices, mais après des semaines d'hésitation, la directrice ne l'a finalement pas pris. Alors j'ai pensé qu'il serait bien de trouver un éditeur plus local, qui saurait aimer et diffuser cette histoire en priorité là où elle se déroule.
Christophe Matho m'a tout de suite dit oui.
L.B. : Certains personnages ont de drôles de noms, comment les avez-vous trouvés ?
H.C. : Je me suis inspirée de la réalité. Dans les cafés, et entre amis, on donne des surnoms à chacun. Et ils leur restent parfois jusqu'après leur mort. Dans la réalité il y a par exemple Nono, Fout l'Angoisse, le comte de Dan, le grand Dudu, etc… Dans le livre, j'en ai gardé quelques uns et transformé les autres, ce qui donne Panik, Jeannie-Toto, le Chinois… Des noms farfelus et imagés comme les noms des hameaux berrichons. Ce n'est pas pour se moquer, juste une façon de rire gentiment de chacun. Ici mes amis m'ont surnommée La fée ou L'eau vive, tandis que les mauvaises langues disent plutôt La sorcière
(sourires…)
L.B. : Avez-vous d'autres projets d'écriture ?
H.C. : Oui, j'en ai tout le temps. J'écris comme je vis, ma tête est sans cesse occupée à retranscrire par les mots les mille émotions que j'ai dans tout ce que je fais. le sourire de mes enfants, le manque de mon meilleur ami disparu, les souvenirs qui bruissent avec les feuillages, la joie d'aimer et d'être aimée, les soirées au coin du feu avec mes amis, les nuits d'hiver seule dans ma vieille maison à regarder la lune par la fenêtre ou écouter Mozart, l'immense beauté du printemps qu'on ressent plein coeur : j'ai besoin de retranscrire tout cela par les mots. Alors j'écris des poèmes, des contes, ou des romans. Là, je vais m'occuper de la parution de l'ensauvagé, puis je pense me consacrer un moment à la poésie. Ecrire un roman demande beaucoup d'énergie et de disponibilité. Tandis que les poèmes, je les écris au fil des balades sur un petit carnet, c'est une démarche plus souple, plus reposante, j'ai envie de passer le printemps ainsi, sur les chemins un carnet à la main.
L.B. : Y a-t-il un message que vous adressez au lecteur à travers ce livre ?
H.C. : Oui, comme à travers tous mes écrits, je veux dire que la vie est rude mais qu'elle est magnifique. Que nous nous étourdissons parfois au contact du monde moderne et de la course à l'argent et au progrès, mais qu'il ne faut pas oublier l'essentiel, savoir se ressourcer, se recentrer, apprécier de voir s'ouvrir les fleurs, savourer le calme, mesurer la chance que nous avons quand, simplement, un enfant nous sourit, quand un ami nous offre sa présence, ne pas oublier que c'est miracle que d'être vivants, d'avoir la terre sous nos pieds et le ciel au-dessus de nos têtes.