Rien n’a changé en une heure. La nature est vaste. L’herbe est humide, nous la foulons dans un petit bruit de crissement, elle change de couleur sous nos pas, le vert se met à luire. Nous avançons jusqu’à l’arrière de la maison comme le vieux nous l’a dit. L’air frais nous caresse. Chaque fois qu’un nouvel angle de vue s’offre à nous, nos mains l’une dans l’autre se contractent, puis se relâchent, on dirait nos poumons.
Nous pensons parfois avoir tout vu. Ce soir, nous avons tort. La vérité n’est pas forcément celle qu’on nous raconte, la preuve est sous mes yeux. Cette fois, l’histoire en jeu, c’est la mienne : tout n’a pas brûlé dans l’incendie du manoir où mes parents sont morts.
[...] — Deux questions se posent, reprend-il. D’abord, que s’est-il passé cette nuit-là dans le manoir de vos parents ? Ensuite, pourquoi vous transmet-on cet album aujourd’hui ?
— Et vous avez les réponses ?
— Pas encore.
[...] Tout n’a pas brûlé dans l’incendie du manoir où mes parents sont morts.
Ces deux-là s'adorent autant qu'ils s'intriguent. Ils sont aux deux opposés d'une même courbe, celle de la hiérarchie sociale, pour laquelle ils éprouvent tous les deux une grande indifférence, si ce n'est un profond mépris. Je crois que c'est la raison pour laquelle ils sont l'un et l'autre très bons dans le métier que nous exerçons. Chaque client est un territoire vierge dans lequel aucun drapeau n'a jamais été planté.
On parle de Paris en mal, on montre du doigt l'anonymat et la vitesse, souvent le bruit. Tout cela est faux. L'anonymat n'est que le synonyme parisien de la liberté qui s'offre à qui la veut. Tout comme la vitesse et le bruit. On peut prendre son temps et arpenter les petites rues. On peut vivre à sa guise. Ici on a le choix.
Combien de temps reste-t-on prisonnier de son enfance ? Marie Inkerman m'a posé la question quand nous étions dans le manoir en Norvège, et je n'ai toujours pas la réponse. Ce que je sais, c'est qu'on peut faire un choix entre ce que l'on conserve ou non.
Chaque client est un territoire vierge dans lequel aucun drapeau n'a jamais été planté.
J'avais l'optimisme en bandoulière, mon expérience parlait pour moi. Je restait pudique sur le sujet, mais il m'est arrivé d'imposer le silence à un contradicteur en citant mon parcours. J'étais un orphelin qui avait mal tourné, et pourtant j'étais là, par la seule force de ma volonté, de mon travail. Peut-être aussi grâce à la chance, oui, il devait m'arriver d'en parler, afin de me rendre humble, comme une cerise sur le gâteau.
Je suis parti.Je n'aurais pas dû.Quand je suis revenu,tout avait brûlé.