Un bateau qui ne va pas sur la mer, c'est aussi triste qu'un oiseau qui ne vole pas.
Le pays en avait plus qu'assez de cette jeunesse qui ne savait que tuer, braquer, violer, incendier, cette jeunesse dont les rêves avaient la démesure des effets spéciaux des films.
A son côté, perdue dans ses oreillers, Arielle gardait le silence,: il savait qu'elle récitait sa prière de nuit. Quel malheur quand le Bon Dieu se creuse une place dans le lit conjugal, se couche entre une femme et son époux !
Comme Amabelle, comme tous les gens du pays, Dieudonné détestait et redoutait les chiens. C'est une vieille affaire. Au temps de la plantation, les chiens ont poursuivi le nègre en fuite, traqué, fait saigner le marron pour le compte du Maître.
Autrefois, la marina de la Mégisserie était une ville flottante, un Hong-Kong encombré de jonques. Puis les navigateurs avaient déserté le pays. Peu à peu, les vagues de la mer avaient retrouvé leur empire de paix.
Mais il n'écoutait pas, sachant que c'étaient là paroles sans poids ni charge, paroles en bouche, aussi creuses que vents ou rêves.
À un angle de rues, un bar ouvert, rempli d'audacieux plus soucieux du bon goût de leur rhum agricole que de leur sécurité. (p. 159)
Une marina, c'est un peu comme la bouche d'une belle. Si la gencive est désertée, si des incisives, des canines ou des molaires manquent, déchaussées, avariées, arrachées, cette absence ne passe pas inaperçue et l'onde qui bouche le trou fait office de pierre tombale. Dans cette caverne édentée qu'était devenue la marina de la Messagerie, Boris ne s'aperçut pas aussitôt de l'absence de La Belle Créole.
- tu fais de la magie ?
Elle rétorqua gravement :
- le vodou n'est pas de la magie !
Le pays agonisait, perdait de tous les cotes sa sève et sa vigueur. Mais l'exotisme tenait bon. (p. 17)